Le centre américain Saban Centre pour les Politiques du Moyen-Orient s'apprête à rendre public un Rapport sur le Développement Humain dans le Monde Arabe, intitulé l'Edification de la Société du Savoir. Ce rapport qui a été élaboré par une pléiade d'experts arabes et américains de renommée internationale constitue à plus d'un égard le plus important travail qui se rattachant au statut de la science et de la technologie dans le monde arabe et ce depuis le dernier rapport du PNUD en 2003 qui a défrayé la chronique en faisant tirer la sonnette d'alarme sur l'écart existant entre le monde arabe et le monde développé en matière de production du savoir. Nous avons saisi l'opportunité qu'il y ait parmi les experts en charge de ce rapport un Tunisien, en l'occurrence monsieur Kamel Ayadi, membre à la Chambre des conseillers, président non Exécutif de la FMOI pour faire le point de la situation. M. Ayadi est également connu pour son activité au niveau international et par sa contribution agissante dans la réflexion menée par les institutions et agences onusiennes, telles-que l'UNESCO sur les sujets en rapport avec la science et la technologie. Interview
Le Temps : Vous avez présenté les premiers résultats de cette étude exhaustive lors du forum Amérique et le Monde Islamique qui s'est tenu à Doha récemment. Pourriez-vous nous décrire le contexte de cette initiative, et où en est-on dans l'élaboration de ce rapport ? Kamel Ayadi : Le présent rapport sera lancé au milieu du mois de Juin à Washington, lors d'un évènement spécial. Son contenu fait le point de la situation en matière de production du savoir dans monde arabe, cinq ans après la publication du célèbre rapport du Programme des Nations Unies pour le Développement qui a mis au grand jour le déficit en matière de savoir dans le monde arabe et a développé une analyse fine et pertinente sur les causes de ce déficit assortie d'une série de réformes que les pays arabes se devraient d'engager afin de réduire l'écart qui les sépare avec le monde développé. Le rapport du PNUD avait en son temps fait couler beaucoup d'encre par ses critiques de l'état des lieux et son ton jugé parfois excessif. Le centre américain a pris l'initiative d'engager l'élaboration du présent rapport en vue de dresser le bilan de la situation actuelle en s'adonnant à une analyse des indicateurs de développement et en les comparant avec ceux de 2003 afin de faire ressortir les progrès accomplis depuis lors et de situer ces progrès, s'il en y a avec ceux réalisés par d'autres régions, en particulier les pays émergents de l'Asie et de l'Amérique Latine. Le rapport a basé son analyse sur les cinq axes suivants : Qualité de l'éducation à tous les niveaux, le degré d'engagement des pouvoirs publics en faveur de la science et de la recherche, l'existence d'une industrie basée sur la production des connaissances, la culture de l'apprentissage et de l'innovation et enfin l'existence d'un climat qui favorise la pensée libre.
. Peut-on dire que ce rapport est une sorte de suivi de celui du PNUD, sinon en quoi se distingue-t-il de ce dernier ? - L'approche de ce rapport est totalement différente. C'est une approche que je dirais plutôt constructive qui cherche à ressortir et mettre en valeur les tendances positives en termes de progrès réalisés pendant les cinq dernières années, tout en signalant les insuffisances. Le rapport du PDUD s'est attelé à analyser l'état de la situation en 2003 de la région arabe par rapport au reste du monde, alors que nous nous sommes plutôt intéressés aux progrès accomplis pendant les cinq dernières années et si ces progrès autorisent à dire que le monde arabe est sur la bonne voie vers la réduction du gap qui le sépare du monde industrialisé et vers l'édification de la société du savoir. L'analyse de la tendance dominante avec ses aspects positifs et négatifs permet de situer la région arabe par rapport au reste du monde. A mon avis, ce n'est pas suffisant de faire la photographie de la situation à un instant bien donné et tirer des conclusions qui ne peuvent être que sévères. Ceci risque de créer des blocages psychologiques quant à la perception des résultats du rapport par les différents acteurs qui pourraient se sentir directement visés. Nous avons plutôt privilégié l'analyse des processus d'évolution sur une période de temps et de dégager des conclusions à partir de cela, dans l'ambition de faciliter l'acceptation de ce rapport par les décideurs en vue de se servir de ses résultats pour engager des réformes nécessaires, s'il y a lieu ou de persister sur leur voie, si celle-ci est la bonne .
. Pourriez-vous nous faire la synthèse des résultats auxquels est parvenu ce rapport et où se situe le monde arabe en matière de savoir par rapport au reste du monde ? - Le rapport met en relief les efforts qui sont déployés par la majorité des pays arabes dans le domaine de l'éducation et de l'enseignement. Il met en exergue des effets positifs tels que l'effort de démocratisation de l'éducation et de l'enseignement à tous les niveaux qui a été prouvé par les statistiques qui mettent le monde arabe dans un état comparable avec le reste du monde. Certains pays ont réussit à mettre en place des mécanismes pour contrôler la qualité de l'enseignement et ne se sont pas contentés de l'aspect quantité uniquement. Tout en signalant cette tendance positive le rapport s'interroge sur sur le fait que cet effort tarde à produire l'effet escompté sur le développement ; causant par là-même l'aggravation de la fuite des cerveaux, à l'instant même où d'autres pays, de l'Asie en particulier, connaissent un phénomène inverse de retour de plus en plus massif des cerveaux expatriés depuis longue date. Des études ont démontré que plus d'un demi million de cerveaux arabes ont émigré pendant les dernières décades. Ce phénomène a atteint des proportions alarmantes pour certains pays comme l'Irak où 40% des professionnels ont émigré depuis 2003 et l'Algérie qui vu le départ à l'étranger de plus de 40 mille chercheurs et spécialistes. Sur un autre plan le rapport note les efforts au niveau de l'intégration économique au sein de la région arabe, caractérisé par l'augmentation des échanges commerciaux et les flux d'investissement arabe de plus en plus importants qui s'orientent vers les pays de la région, et l'exemple de la Tunisie et le Maroc en est une belle illustration, cependant ces efforts restent en deçà de ce que connaissent d'autres régions de l'Asie en particulier où 40 % des volumes des échanges se font dans la région, alors que ce chiffre ne dépasse pas les 10% pour ce qui est de la région arabe, sans compter les disparités qui persistent encore entre les deux blocs, en l'occurrence les pays du Conseil de la Coopération du Golfe et la région du Maghreb où les échanges internes ne dépassent pas 5 %. Sur un autre plan il y des progrès notables de développement des infrastructures de communication dans la majorité des pays arabes et dans la région du Golfe en particulier, où les indicateurs de pénétration de l'Internet, des ordinateurs, et de la téléphonie mobile sont parmi les plus élevés au monde. Cependant cette évolution des indicateurs de la connectivité ne traduit pas une dynamique réelle au niveau de la production du contenu.
. Qu'en est-il de la Tunisie dans ce rapport ? - La Tunisie se situe au regard de plusieurs indicateurs en tête de liste des pays arabes. Elle est citée en tant qu'exemple par rapport aux dépenses publiques que l'Etat consacre à la recherche scientifique qui dépasse 1% du PIB. En matière de ressources humaines, la Tunisie est également citée en tant qu'exemple eu égard aux dépenses publiques consacrées à l'éducation et l'enseignement qui dépassent 7 % du PIB. Rien que pour ces deux chiffres la Tunisie se distingue du lot par la politique avant-gardiste du Président Zine El Abidine Ben Ali en matière de science et technologie. La Tunisie se situe également en tête de liste pour ce qui est des publications scientifiques. La Tunisie est également relativement bien classée en position 43 selon l'index de rétention des compétences, alors qu'un pays comme l'Egypte est classée en position 113. Les pays du Golfe se distinguent par un classement favorable dans cet index, mais également dans les indicateurs quantitatifs de connectivité et d'internet. La Tunisie se situe bien dans la comparaison relative à l'exportation des services à contenu technologiques élevés, mais elle est devancée par le Maroc. Interview réalisée par Néjib SASSI