Par : Ridha KEFI Condamné, le 6 juin 2004, à 10 mois de prison, Ruddy Terranova, un ancien délinquant multirécidiviste converti à l'islam en prison, n'était pas véritablement un jihadiste, mais un salafiste convaincu et dévoué à la cause. Ce géant de près de deux mètres fait partie de ces dizaines de convertis à l'islam ayant succombé aux sirènes du jihad international. Américains, Australiens, Jamaïcains, Français, Allemands, Belges… Nés de parents chrétiens, juifs ou athées… Fraîchement convertis à l'islam le plus rigoriste par des imams extrémistes, ils ont gagné les camps d'entraînement de Bosnie et d'Afghanistan, où ils ont acquis une solide formation militaire, avant de devenir des «petits soldats du jihad» contre l'Occident mécréant. Certains sont morts dans les montagnes de Tora Bora ou en Irak. D'autres ont été arrêtés dans le cadre de la campagne internationale de lutte contre le terrorisme, jugés et écroués. Leurs parcours, qui se ressemblent en plusieurs points, peuvent être résumés en deux formules: quête désespérée de soi et folie destructrice.
Le 6 juillet 2004, la 16ème chambre du tribunal correctionnel de Paris a condamné à six et dix mois d'emprisonnement deux islamistes radicaux, jugés pour avoir passé à tabac Abderrahmane Dahmane, le président de la Coordination des musulmans de France (CMF) aux abords d'une mosquée du 11ème arrondissement de Paris, en décembre 2002. L'islam que ce dernier prônait était trop modéré à leur goût. En fait, la cour a requalifié les faits d'«association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste» et «violences volontaires», pour lesquels les deux condamnés, Karim Bourti et Ruddy Terranova, étaient poursuivis, en «violences en réunion». C'est ce qui a permis de réduire considérablement les peines qu'ils encouraient. Les deux hommes ont été condamnés aussi à verser solidairement 5 000 euros à la victime.
«L'islam m'a fait abandonner le banditisme» Les deux hommes avaient été interpellés le 26 janvier 2003 et incarcérés depuis cette date jusqu'à leur libération le 6 juillet 2004, après avoir effectué 18 mois de détention provisoire. Karim Bourti est une figure connue de la nébuleuse jihadiste française. Présenté comme un cadre, en France, du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) algérien, il avait déjà été condamné le 12 décembre 2000 par le tribunal correctionnel de Paris à trois ans d'emprisonnement, dont un avec sursis, pour son appartenance au groupe d'Omar Saïki, soupçonné d'avoir préparé un attentat lors de la Coupe du monde de football en 1998. Quant à Ruddy Terranova, s'il n'était pas considéré par les services français comme un élément jihadiste, il n'en était pas moins connu de la police. Et pour cause: il était un délinquant notoire. Né en 1978 à Marseille, au sud de la France, d'un père biologique inconnu, fils d'un rapatrié français d'Algérie qui fut officier de gendarmerie, Ruddy a été élevé – le mot est assez inexact – par un beau-père voyou, décédé au cours d'une bagarre, et d'une mère retrouvée suicidée dans la cave de sa maison. «Ruddy Terranova n'est pas un islamiste de premier rang. Mais sa conversion, aussi surprenante que radicale, témoigne d'une quête de références partagées par d'autres», écrit ‘‘Le Monde'' du 4 juin 2004, qui cite cette déclaration faite par l'intéressé lors de sa garde à vue à la brigade criminelle, le 23 janvier 2003: «L'islam m'a fait abandonner le banditisme et m'a donné un mode de vie sain», a-t-il résumé lors de sa garde à vue à la brigade criminelle, le 23 janvier 2003. Lors de son audition par le juge Jean-François Ricard, le 2 mai 2003, Karim Bourti a confirmé cette spectaculaire métamorphose du jeune homme: «Il m'a dit qu'il avait été très turbulent, violent, et que lorsqu'il avait embrassé l'islam, il était devenu humble et serein», a-t-il précisé (‘‘Le Monde''). Le parcours de Ruddy Terranova témoigne aussi de ce changement. Avant sa conversion, le jeune homme a eu une vie plutôt erratique et instable. Ses études arrêtées à l'année du baccalauréat, il a pu néanmoins décrocher un permis de conducteur d'engins en BTP. Engagé dans la Légion étrangère, le 24 juillet 1995, à l'âge de 17 ans, il n'a pas tardé à résilier son contrat quelques mois plus tard. Raison invoquée au cours de sa garde-à-vue: «Je ne pouvais pas correspondre avec ma petite amie pendant que j'étais engagé et ça me manquait». Après un service militaire effectué tant bien que mal, ce géant de près de deux mètres a eu maille à partir avec la justice. En moins de trois ans, il a été condamné pour outrage et rébellion, tentative de vol à main armée, évasion d'un commissariat, violences volontaires et, pour couronner le tout, tentative d'assassinat. Ce qui lui a valu trois ans de prison à partir de mars 1997. Et c'est lors de sa détention à la prison de Fleury-Mérogis que le délinquant sans repères a rencontré le Coran, puis l'islam radical, à travers les enseignements d'un certain Smaïn Aït Ali Belkacem, l'un des auteurs de l'attentat de la station de RER Musée-d'Orsay, à Paris, le 17 octobre 1995, condamné en octobre 2002 à la réclusion criminelle à perpétuité. Il a été aussi formé (ou plutôt formaté) par un certain Karim Bourti, qui deviendra son ami. «En 2001, Ruddy Terranova s'est marié religieusement au Sénégal avec Ramata, une vieille amie. Son témoin était Smaïn Aït Ali Belkacem. Sa conversion était alors accomplie. Dorénavant, à ses yeux, le Coran n'admettait plus aucun compromis», écrit ‘‘Le Monde'', en évoquant l'explication qu'il avait donnée de cette métamorphose dans sa déposition à la brigade criminelle: «Je suis allé en juin 2000 au Soudan pour la religion, pendant deux mois dans une école coranique, une ‘‘madrassa'' (...). J'ai, en fait, participé aux combats et ai été blessé à l'avant-bras gauche et au torse. (...) J'envisageais d'aller en Tchétchénie pour participer aux combats, mais j'estime que ma vie de famille passe avant». Sage décision puisque sa femme était alors enceinte de quatre mois.
Le quêteur du Jihad
Ruddy Terranova, qui n'a pu partir en Arabie Saoudite pour parachever sa formation religieuse, comme il en avait eu l'intention un moment, a pu néanmoins assister, dans le Londonistan, aux prêches tonitruants des prédicateurs Abou Hamza Al-Masri et Abou Qoutada, aujourd'hui incarcérés en Grande-Bretagne. Cela n'a pas fait de lui pour autant un jihadiste accompli, puisqu'il n'a pas suivi des entraînements dans des camps d'Al-Qaïda en Afghanistan, ni lancé des attaques terroristes contre des cibles en Occident. Et même s'il avoue avoir eu, un moment, un penchant pour le Groupe islamique armé (GIA) algérien, le Français affirme avoir été horrifié par ses «actes barbares qui n'avaient rien à voir avec l'islam», en allusion aux attentats sanglants que ce groupe commettait en Algérie contre la population civile. Cependant, sans cesser de revendiquer son appartenance à la mouvance salafiste, Ruddy Terranova affirme que son rôle était limité dans la collecte de fonds pour les prisonniers et leurs familles, grâce notamment à la perception de la zakat (dîme) et à la quête devant les mosquées après les grandes prières, ainsi que le prosélytisme, c'est-à-dire la propagation de la foi musulmane. Les juges de la 16ème chambre du tribunal correctionnel de Paris semblent avoir accepté cette explication puisqu'ils ont fini par le laver des accusations initiales d'«association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste» et «violences volontaires».