Les espaces du savoir et de culture transformés en souks. Les touristes se ruent sur notre « Andorre » du Sud, Ben Guerdane et délaissant nos tapis, ils sautent sur la friperie... Sur nos plages, le « burquini » fait rage : assemblage hybride dont sont accoutrées nos adolescentes, association de la fameuse burat afghane et du bikini. Impressions estivales qui laissent sceptiques. Pour un voyageur ordinaire, se trouvant dans l'obligation de circuler, par cette canicule, à travers les régions, et faisant des haltes prévues ou non, découvre les à-côtés du quotidien, invisibles souvent pour certains sédentaires par la force de l'habitude de les côtoyer sans les voir, ou sans vouloir les voir. De Djerba à Hammam Ghézaz. Le « burquini » envahit les plages En deux ans, beaucoup de plages du sud furent littéralement envahies par des tenues vestimentaires pour le moins surprenantes : pratiquement toutes le jeunes femmes, y compris les adolescentes sont accoutrées de « maillots » de bains qui tiennent d'un assemblage hybride entre une tenue de scaphandrier et du parachutiste sportif ; le burquini, néologisme composé de l'association de la fameuse burqua afghane, et du bikini. Inventé par une styliste australienne d'origine libanaise. De suite approuvé par les tenants du rigorisme religieux comme étant une tenue « seyante, convenable, conforme à la tradition musulmane »...Une bénédiction plutôt réactionnaire. En fait une lumineuse affaire commerciale, au vu du marché actuel, « porteur » dit-on. Ainsi, après le bikini, le microkini, le monokini et le tankini, voilà le burquini!!!! Un pantalon acrylique collant qui va aux chevilles, un tricot de la même matière qui couvre l'ensemble des bras jusqu'aux poignets, puis une sorte de cagoule qui cache la nuque, le cou, semblable à cette protection utilisée par les pilotes de F1 et les astronautes sous leurs casques, puis une casquette à la forme bizarroïde. Des couleurs très flashy, fluo, le rose buvard, le vert pistache, le bleu électrique, sont prisées. Ce n'est pas fini, au dessus de tout cela il y a une mini robe, très souvent noire, pour faire ressortir le contraste, qui va juste aux genoux au moins !! Les plus chics s'arrangent pour mettre quelques fantaisies : quelques fanfreluches en bas de la robe pour rappeler la couleur de base.... Et l'effet avalanche se poursuit : absolument plus aucun bikini porté sur certaines plages publiques du sud par des jeunes filles, et à peine quelques très rares maillots dits « unipièce ». Les plus « courageuses », les plus « osées » diraient d'autres, se couvrent de suite d'un vaste paréo dès la sortie de l'eau, et même les caches maillots, compléments plutôt « in » à l'époque, deviennent partie intégrante du costume de bain... On commence par la pression vestimentaire, sur les plages et ailleurs. Le danger est là, rampant. Rappelez vous cette histoire d'étudiante venue passer un examen dans une faculté de Nabeul : elle a été exclue de la salle par le professeur surveillant, une femme (!!) parce qu'elle avait « les bras dénudés »( !!!) . Elle a été obligée de quitter la salle, et s'est avec quelques interventions qu'elle a été réadmise à poursuivre son examen (dans quelles conditions !!) après avoir mis une chemisette « conforme », prêtée d'urgence par une de ses amies !! Ecole ou souk ? Depuis des années, une des plus anciennes écoles primaires de Houmt Souk, située au centre ville, devient, le temps d'une quinzaine, un espace commercial très particulier. Une « foire », comprendre un nombre important de stands où on vous propose de tout, s'installe dans la cour de la dite école. Hautparleur, chants à la mode, appels répétés, banderole accrochée en face, aux murs du Centre Culturel Méditerranéen. Tout est fait pour rabattre les badauds vers la cour de l'école. Les marchandises proposées sont celles qu'on trouve sur tous les étals des marchés hebdomadaires, sans plus. Vous êtes, en plus, obligé de vous acquitter d'un « droit » d'entrée .... J'ai entendu beaucoup un jeune écolier, passant devant l'établissement poser la question suivante à sa mère : « Si mon école devient un souk, où irai-je l'année prochaine ?? » Innocence qui nous renvoie des duretés. Oui, depuis quand un espace de savoir devient-il un lieu de marchandages mercantiles ? Est-ce un début pour ouvrir la voie aux lycées puis aux facultés d'en faire de même, et de louer leurs espaces libres à des marchands de quatre saisons, y compris durant l'année scolaire ?? D'ailleurs cette unité scolaire est à bonne école : le Centre Culturel Méditerranéen, placé juste de l'autre côté de la route a montré le chemin : n'a-t-il pas loué lui aussi la salle qui sert aux expositions à des marchands de literie ?? La Maison de la Culture locale n'est pas en reste ; il lui arrive de transformer certaines salles en halls d'exposition pour des ventes privées... Bizarre comme les lieux de culture sont détournés de leur fonction. Les touristes raffolent des fripes Dans le sud, tout est bon pour proposer des circuits touristiques. Ainsi, des dizaines de bus font l'arrêt « souk » à Ben Gardane. L'immense ensemble, des dépôts à perte de vue fait la joie des touristes. A Djerba, l'espace délimité par le Fort Ghazi Mustapha et le Musée du Patrimoine est devenu depuis quelques années le marché hebdomadaire d'Houmt Souk. Légumes, fruits, céréales, épices, et tout ce qui vient d'Asie, via l'Egypte et la Lybie. La proximité de Ben Gardane, notre Andorre du sud, a donné à ce souk, devenu depuis le «souk lybien », une relance appréciable. Mais c'est la partie réservée aux fripes qui domine. Des centaines de stands. Les agences de voyages, les navettes des hôteliers, les taxis et les nombreux taxis clandestins, y trouvent là un bon créneau : on propose une virée « pour le plaisir des yeux », avec l'espoir non avoué pour un passage par une boutique de tapis ensuite, et la ristourne en fin de parcours. Sauf que, le bouche à oreille aidant, les touristes, clients low-cost en général et les autres aussi, viennent y faire de bonnes affaires. Les meilleurs clients sont les Tchèques et les Italiens pour les fripes. Ils y passent la matinée. Ils rentrent avec des dizaines de vêtements, dans des sacs de plastique noirs. Cela va des jeans, aux chemisettes, des draps et des serviettes de toilette mêmes. On achète beaucoup de pulls pour l'hiver. On fait une bonne provision de lainages pour les enfants. Même suffisamment arnaqués au niveau des prix, ils sont contents de faire des affaires. Les Français eux, s'intéressent plus aux produits « signés », allant du vrai faux tee-shirt, à la paire de basket supposée être de marque mondialement connue, aux lunettes de soleil avec sigle reconnaissable.... A quinze ou vingt euros la pièce, ils se considèrent gagnants. Les revendeurs aussi d'ailleurs. Du coup, les prix sont pratiquement le double de ceux qui sont pratiqués à Médenine, le triple de ceux de Mareth..... là où il n'y a que de la clientèle autochtone. La courge pour le « yéhni » C'est connu, en été on dépense sans compter. On est cigale, on aime ça et on rouspète quand même pour les prix. Il faut dire que certains produits ont vu leur valeur financière s'envoler......selon les endroits fréquentés. Bien sûr, les pôles comme Djerba et Hammamet battent des records en cette période. A titre d'exemple, le mulet sauteur, apprécié pour la délicatesse de sa chair en cette période, va de 15 à 25 dinars le kilo, selon la « qualité ». Ne parlons pas de la serre, qui a atteint les trente quatre dinars. Aberrant. Les légumes ne sont pas du reste. Le potiron, la courge rouge, légume incontournable pour le « yéhni », célèbre ragoût, aux abats ou à la viande, servi lors des repas de mariages djerbiens stationne aux environs des huit cents millimes...Au point qu'une dame, constatant que le melon n'était qu'a trois cents millimes, a eu cette truculente remarque au marchand de légumes : « donnez moi s'il vous plait un kilo de melon pour le couscous et une livre de courge pour le dessert !! ». Habileté du citoyen pour tourner en dérision l'absurdité de certains bouleversements. Dire qu'un dicton bien connu est utilisé pour signifier le peu d'importance qu'on accorde à ce légume...
Du « brelli » au petit déj Certains festivaliers de Kélibia, comédiens, réalisateurs, metteurs en scène, journalistes, et compagnie, ont préféré élire domicile du côté de Hammam Ghézaz. Si proches du lieu et si indépendants aussi. Encore un petit paradis, ce village, mais pour combien de temps encore ?? Des habitants la main sur le cœur, vous saluent à haute voix, avec le sourire spontané des gens qui n'ont rien à vous demander, ni à quémander. Juste le plaisir de serrer la main de tel acteur connu, d'être son voisin le temps d'un long week-end. De s'apercevoir qu'il « n'est pas comme à la télé », humain tout court. La générosité des gens simples qui viennent frapper à votre porte pour vous offrir des seaux de figues fraîches, matinales, des pastèques, des melons du champs. Deux ou trois jours à vivre sur un rythme décalé, la nuit se confondant avec le jour, avec un mouvement perpétuel d'amis, d'amis d'amis, des retrouvailles, d'énormes spaghettades de fin de soirée, des moments de partage, de découvertes. Un micro espace de totale liberté. Dérision, blagues, et gros rires. On vous surprend au lever du jour, par des beignets brûlants, ou par des « brelli » tous frais sortis de l'eau, frits, de l'huile d'olive , quelques salaisons maison, et vous avez un petit déj tout à fait « anti-conformiste », pour celles et ceux habitués au noir-cigarette ou au crème croissant fadasse. Le « brelli » ?? Une découverte. Ce sont de minuscules petits thons, de la grosseur d'un anchois taille mannequin, pas plus. Les habitants du Cap Bon en raffolent. Ils en consomment durant toute cette période d'Aoussou. Ils les mangent frits ou grillés et en quantité impressionnante. Cela rappelle d'autres habitudes, ailleurs. Le « Ouzef » dans le golfe de Gabès, les sardines ( les plus petites étant les plus recherchées par les connaisseurs, contrairement aux apparences !!) au Sahel. L'été est la période où ces minuscules petits poissons bleus, si délaissés habituellement, prennent leur revanche.