Cela fait très longtemps que la France a perdu « ses religions » comme l'aurait dit François Mitterrand. Cela fait longtemps aussi qu'elle n'arrive plus à se positionner vis-à-vis de ses propres idéaux, vis-à-vis de cet « universalisme » des valeurs qui fut pourtant le sien, à l'époque où l'univers totalitaire prenait, agressif, le deuil de ses modèles et que des prédicateurs de tout bord incitaient leurs « fidèles » au refuge de la religion. Mais la France n'a pas vu venir la mondialisation. Elle n'a pas vu venir Bush. Mais elle voyait bien venir Ben Laden comme elle avait donné asile à un Ayatollah, dont le seul mouvement des lèvres risquait de faire basculer la planète. A quoi répond cette France, se proclamant, pourtant, championne du communautarisme, à la montée des extrémismes ? Son universalisme, jadis rayonnant, bégaie soudain. Elle oppose tour à tour un repli frileux ; un retour vers la xénophobie qu'elle condamne, mais cautionne par ricochet. Sinon, elle heurte les sensibilités communautaires, attaquant les valeurs de cet « autre » musulman et à travers les traits duquel, elle décèle systématiquement ceux de Ben Laden. Et voilà, qu'elle se retrouve empêtrée dans ses propres contradictions. Au nom du pluralisme et des élections libres, les gouvernements successifs français - qu'ils fussent de gauche ou de droite - ne voyaient pas de mal à ce que le FIS remportât les législatives algériennes. Au nom de la démocratie, de « la patrie des droits de l'Homme », elle avait donné asile, puis ouvert ses éditions aux dissidents extrémistes -. Quelque part, elle faisait le lit de l'intégrisme. Mais depuis le 11 septembre 2001, tournée en dérision par les néo-conservateurs, « rebaptisée » « Vieille Europe » (NDLR : entendez icône sclérosée de cette « Vieille Europe »), elle veut se rabattre, aujourd'hui, sur cet « universalisme des valeurs », dont, bien sûr, la liberté d'expression... Si, en Europe, on fabrique des Papes en peluches pour les enfants, si l'on représente le Christ et que Zeffirelli et Mel Gibson croient en avoir fourni des répliques fidèles, le monde musulman reste inflexible quant à la représentation du Prophète Mohamed. Et à plus forte raison lorsque celui-ci est caricaturé par des dessinateurs danois, donnant prétexte à des textes pamphlétaires, écrits par M. Robert Redeker et des prises de position - au nom de la liberté d'expression - mais qui, en réalité, trahissent une crise des valeurs. Cette crise, François Hollande et Nicolas Sarkozy viennent de l'exprimer conjointement en se solidarisant avec les journalistes de Charlie Hebdo... A posteriori, ces deux personnalités politiques de premier plan, cautionnent les caricatures. Au nom de quoi ? De la laïcité, l'un des réquisits de la République ? De toutes les manières, il n'y a rien de nouveau, rien de sensationnel ; on sait que les hommes politiques français ont le syndrome Le Pen et qu'ils finissent toujours par le rejoindre quelque part. Et de surcroît, Segolène Royal et Nicolas Sarkozy débitent presque les mêmes discours dans leurs campagnes respectives. Pourquoi ne se rejoindraient-ils donc pas dans des relents « islamophobes » ! Cela veut dire aussi que la dialectique gauche/droite n'est plus de ce monde et qu'elle n'a plus sa force mobilisatrice d'antan. Et pourtant, l'un des leurs, Jean François Revel, croyait prophétiser le dépérissement des idéologies à travers son fameux livre d'il y a trente ans : « Ni Marx, ni Jésus »... Il avait oublié celui que les Occidentaux nomment « Mahomet ».