Il fut un temps, où pour un enfant, un jeune ou une femme, proférer un blasphème, un juron ou tout autre écart de langage relevait du sacrilège et méritait toutes les malédictions. Aujourd'hui, et pour des raisons multiples, dont notamment une certaine dérive morale et culturelle généralisée, la violence verbale sous toutes ses formes s'amplifie et n'offusque que quelques rares « résistants » qui tentent, parfois vainement, d'endiguer le fléau. La grossièreté, les expressions obscènes, et tout le vocabulaire immoral ne sont plus l'apanage d'un sexe, d'une tranche d'âge ou d'une catégorie sociale ; plus personne n'est à l'abri de telles déviances. Le lexique de presque tous les enfants est, de nos jours, relativement bien fourni en expressions vulgaires. Les femmes tendent aussi à se distinguer dans les audaces langagières (au nom peut-être de l'égalité des sexes !). Nous avons tout récemment été témoin d'une conversation entre deux jeunes filles voilées qui traitaient de tous les noms quelqu'un de leur connaissance ; il faut dire que parmi les expressions utilisées, il y en avait quelques unes que le plus vulgaire des garçons n'osait employer. Il paraît que du côté des filles comme du côté des garçons, on ne manque pas d'imagination quand il s'agit d'inventer des formules impertinentes. En matière de gaillardises toujours, il y a lieu de constater que les personnes âgées ont leur mot à dire et des performances à faire valoir. On écrirait un énorme recueil avec les histoires perverses que certains d'entre eux débitent sans retenue et parfois en présence de jeunes gens beaucoup moins indécents. Et ce ne sont ni les chapelets qu'ils égrènent avec leurs doigts ni le titre de Hadj dont ils s'enorgueillissent qui pourront freiner leur logorrhée insolente. A ce propos et à l'occasion du mois saint qui approche, personne ne peut passer sous silence le déluge de grossièretés que nombre de jeûneurs libèrent le soir au café, ou dans la rue ! Certains sont incapables d'attendre la rupture du jeûne pour se défouler et vous font apprécier leur absolue maîtrise du dictionnaire des gros mots dès les premières heures du matin. Les foyers sont, Ramadan ou pas Ramadan, de plus en plus dévastés par le tsunami des expressions ordurières : alors qu'ils étaient épargnés il y a quelques années, on y enregistre maintenant les disputes les plus bruyantes et les plus généreuses en jurons, insultes et termes scandaleux. Ces échanges impudiques peuvent opposer le mari à son épouse ou bien l'un des parents à ses enfants lesquels tendent à devenir chaque jour plus irrespectueux envers les normes familiales et morales. Les murs de presque tous les quartiers sont de nos jours, à cause de ces inscriptions honteuses qui y figurent, les témoins d'un mal être inquiétant et d'une faille alarmante dans le rapport à soi et à autrui. Le plus grave dans tout cela, c'est que ceux-là mêmes qui sont censés éduquer ne résistent pas toujours efficacement à la vulgarité ambiante et succombent dans leurs moments d'égarement à la tentation de rejoindre le troupeau dans sa trivialité.
Les causes profondes et les remèdes possibles On s'explique différemment le regrettable phénomène selon l'angle de jugement où l'on se situe, moral, religieux, civilisationnel, culturel ou psychologique ; mais dans tous les cas ce fléau est révélateur d'une crise profonde de l'individu et du groupe auquel il appartient. Les facteurs politiques et économiques ne sont pas non plus à exclure. Pour lutter efficacement contre les ravages de ce tsunami humain, il faudrait plutôt que de prodiguer les leçons morales et les sermons hypocrites (puisque comme dit le proverbe, « Charité bien ordonnée commence par soi-même »), plutôt que de décréter des lois qu'on a de la gêne à appliquer, agir sur les causes premières de la violence (physique et verbale). Un détail doit tout de même nous amener à relativiser notre propos sur la violence verbale et nous empêcher de verser dans le moralisme et la démagogie les plus insupportables. En effet n'est- ce pas légitime d'évoquer en même temps que ses méfaits les bons côtés de l'agressivité verbale ? La vulgarité que nous produisons ne libère-elle pas une violence refoulée susceptible, si elle reste comprimée, de nuire encore plus à l'individu et à sa communauté. N'est-ce pas par ailleurs un indice fiable sur l'état de santé morale et sociale de l'individu et du groupe ? Il n'est pas prouvé d'autre part que la violence verbale soit un facteur de régression économique ou culturelle ; n'allons donc pas très vite en besogne et ne diabolisons pas l'Occident que d'aucuns rendent responsables de tous les maux !