* C'est symptomatique de l'endettement des ménages désormais habitués à un jeu de funambule ou rééchelonnement des dettes, aux fuites en avant et jamais à l'austérité. Le « deux en un » du Ramadan et de la rentrée scolaire représente un casse-tête pour les ménages tunisiens habitués aux facilités de paiement pour faire face aux exigences de la vie courante. Les rentrées financières mensuelles ne sont qu'un moyen pour honorer des dettes déjà engagées. Donc, la coïncidence de deux charges rend la donne difficile et pose un véritable problème à l'équilibre financier des couches moyennes. Ainsi, la décision toute récente prise par le Chef de l'Etat de payer les primes de rendement des fonctionnaires au début du mois de septembre, a été sans doute accueillie avec satisfaction et soulagement par plus d'un parmi nos concitoyens, surtout qu'ils ont à affronter pendant ledit mois les dépenses de ramadan, celles de la rentrée des classes et celles de l'Aïd. Mais par ricochet, cela donne à réfléchir sur la place que tiennent, dans le budget du Tunisien, les paiements perçus en dehors du salaire mensuel et sur la manière dont les sommes versées sont utilisées. Nous avons posé la question à quelques fonctionnaires dont les réponses nous ont paru très révélatrices quant à l'intérêt crucial porté par nos concitoyens au moindre paiement effectué en leur faveur. L'écrasante majorité des fonctionnaires et des ouvriers tunisiens attend ce genre de paiement avec parfois plus de fébrilité que le versement des salaires. Certains comptent sur ces sommes perçues, malgré leur modicité, pour payer des dettes mineures ou des factures un peu trop lourdes pour ce qui reste du salaire, et le plus souvent pour joindre les deux bouts pendant les périodes difficiles comme celle qui se profile en ce moment : « nous y tenons tellement parce que les primes et les rappels tombent toujours à pic et nous sauvent de situations franchement délicates, comme par exemple de calmer pour un temps des créanciers impatients ! », ainsi parle M. Gannouni Ali qui rappelle aussi qu'il en a eu besoin il y a quelques mois pour s'acquitter des frais occasionnés par une méchante grippe que sa mère a attrapée. « La prime est une véritable roue de secours pour nous autres modestes salariés de la fonction publique. Que dire alors quand il s'agit de simples ouvriers qui plus est, ont une famille nombreuse à leur charge ? », ajoute notre interlocuteur qui ne cache pas sa joie de recevoir bientôt sa prime de rendement qu'il n'espérait pas pour si tôt ! Tout en reconnaissant leur rôle compensateur, M. Abdelmajid, professeur d'éducation physique souligne que « les primes et les rappels sont des indicateurs fiables sur le plan économique et que l'importance qui leur est accordée par les salariés prouve avec évidence combien nos salaires sont insuffisants ! Nous avons beau, nous les enseignants, nous sentir relativement bien payés, ces compléments salariaux nous font beaucoup de bien ! Personnellement, je n'y touche que lorsque le montant réuni dépasse les mille dinars. Avec une telle somme, on peut se permettre un week-end sur la Côte, une excursion dans le sud du pays ou offrir à son épouse un bijou et à ses enfants des habits neufs. ». En vérité, les fonctionnaires de la trempe de M. Abdelmajid sont des exceptions chez nous, parce qu'il est rare qu'une quelconque prime reste dans le compte d'un employé, plus d'une journée ! Le montant est en effet aussitôt retiré et dépensé.
A l'affût des moindres paiements Nombreux sont en effet les fonctionnaires qui guettent au quotidien toutes sortes de nouvelles sur d'éventuels versements. Ils ont à cet effet des « antennes » sûres dans les ministères et des informateurs non moins fiables du côté des administrations financières locales et bien évidemment auprès des banques et de la poste. Si bien qu'ils savent, une ou des semaines à l'avance, si le rappel des dernières augmentations renflouera les comptes en juillet, en septembre ou fin décembre ; si les heures supplémentaires seront payées intégralement ou en deux versements ! Dans toutes les administrations, un bulletin d'information de ce type est tenu au départ par un groupe de fonctionnaires toujours à court de liquidités ; puis la manie est contractée par les autres employés qui n'arrêtent plus alors de s'enquérir sur les paiements effectués et les versements à venir. Et chacun de construire ses châteaux en Espagne, de faire et de refaire ses comptes, de répartir - avant même de le toucher- l'argent escompté ! Si par malheur, l'information s'avère mensongère, on maudit tous les responsables,tous les agents de banque et tous les informateurs. Cela calme un peu, mais très vite le sentiment de frustration envahit de nouveau notre fonctionnaire qui décide tout de même d'aller en personne à la banque ou à la poste vérifier s'il ne s'agit pas d'un canular ! et tant pis alors si la déception sanctionne sa démarche, parce qu'il trouvera au moins une nouvelle occasion pour solliciter une avance sur le salaire ou se contenter de poser au banquier la sempiternelle question du fonctionnaire tunisien, à savoir sabbouchi ? !!!