Le Club Sfaxien est en train d'instaurer de réelles traditions mercantilistes dans les mœurs du football tunisien. Le club fabrique des petits génies à la pelle, mais il a la chance (ou le tort ?) d'être chapeauté par un expert-comptable. La chance dans la mesure où Slaheddine Zahaf veille aux équilibres financiers et sait même « faire chanter » ses pourvoyeurs de fonds en menaçant de démissionner quinze fois par jour. Le tort (si tort il y a), c'est que ce même Zahaf ne prend pas son temps pour s'enivrer, pour se délecter de cet art, tout sfaxien, fait de purisme et de football spectaculaire. Nous serions curieux de connaître sa réponse à la question suivante : « Auriez-vous vendu Agrebi avant l'Argentine 78 ? »... Il l'aurait fait. Tout se crée, rien ne se perd et tout se vend : voilà, donc, la devise dominante au sein d'un Club Sfaxien un peu trop comptabilisé, au point que la Coupe d'Afrique avait été remportée et comptabilisée avant terme, elle aussi, au chapitre des profits, avant que le Cairote Abou Trika ne la relègue, à la 93ème minute d'un match bizarre, au chapitre des pertes. Ce qui devrait, quand même, inquiéter les Sfaxiens, c'est ce début de rupture avec des traditions saines. Il y a cinq ans, belliqueux et déterminé, Zahaf déclarait sur nos colonnes : « Je ferai du Club Sfaxien le meilleur club de Tunisie pour les cinq prochaines années ! ». L'équipe a failli être la meilleure d'Afrique, mais elle n'est pas pour autant la meilleure en Tunisie. C'est vrai que, chaque matin, en ouvrant la boutique, Zahaf fait face à des charges de l'ordre de 22 mille dinars ! Il y a, donc, toujours des trous de caisse et un manque chronique de cash-flow et, le tout, moyennant des acrobaties (traites, chèques anti-datés) pour honorer les engagements. Cette situation n'est pas inhérente au Club Sfaxien : bien de présidents de clubs sont poursuivis judiciairement pour avoir apposé leur signature et leur caution personnelle dans des engagements financiers. Et cela fait qu'on a beaucoup jasé à Sfax, après la finale africaine, quant à des ventes « peu catholiques » de billets... Bien sûr, il y a une grosse part d'affabulation. Mais c'est quand même symptomatique de l'état de marasme dans lequel s'empêtrent les sphères dirigeantes des clubs... Est-ce cela le professionnalisme ? Nous comprendrions, à la limite, que l'équipe de Béja - à un certain moment, grenier du football tunisien, comme le fut la ville, du temps des Romains, pour le blé - Nous comprendrions, en somme, qu'elle ne puisse garder ses « joyaux » et qu'elle se résigne à former de bons joueurs pour les revendre. Cette démarche s'inscrit dans la pratique de vassalisation des petits clubs dans les tentacules des grands. En Italie, il existe même un rigoureux découpage régional : la Juve a ses « clubs de province » qui travaillent pour elle ; Milan les siens et l'Inter les siens. Il y a des riches et des pauvres : et les pauvres travaillent pour les riches... Mais, diable, pourquoi le CSS, club riche parmi les riches en Tunisie, prend-il plaisir à cette braderie, mais alors une vaste braderie, au nom des équilibres financiers ? Il ne remportera jamais de titres en vendant systématiquement ses meilleurs joueurs. Et ceux-ci perdent de leur verve, ayant toujours la tête ailleurs, quand ils se savent au centre de spéculations mercantilistes. Sinon, posons la question : les gros bonnets formant le Haut Comité de soutien, portent-ils tous la main au portefeuille ? Existe-t-il, par ailleurs, un seul industriel à Sfax qui ne soit pas clubiste sfaxien ?