Le Temps-Agences - L'approche de l'élection présidentielle russe de mars 2008 et le déploiement de missiles américains toujours plus près des frontières de la Russie expliquent, selon les experts, les attaques de Vladimir Poutine samedi à Munich contre les Etats-Unis. Lors de la conférence annuelle sur la sécurité, le président russe n'a pas mâché ses mots pour accuser Washington de mener une politique unilatérale et hégémonique qui ne fait qu'aggraver les tensions et risque de relancer la course aux armements. En durcissant le ton, Poutine cherche aussi à fixer une ligne pour son successeur à la présidence, qui sera élu dans treize mois, dans un contexte international des plus menaçants, estime Gleb Pavlovski, un analyste politique proche du Kremlin. "Cela veut dire que la Russie est assez grande pour dire 'oui' ou 'non' sur les grandes questions internationales", a déclaré Pavlovski à l'agence de presse Interfax. Depuis l'effondrement de l'URSS et la fin de la Guerre froide, la Russie a accumulé les griefs contre les Etats-Unis et leurs alliés et s'est souvent sentie tenue à l'écart, voire humiliée. Ainsi, au moment des bombardements de l'Otan sur la Serbie en 1999, les protestations de Moscou sont restées sans effet. De même en 2003, lorsque les Américains se sont lancés à l'assaut de l'Irak de Saddam Hussein, malgré l'opposition de plusieurs grandes puissances, dont la Russie. Autre couleuvre à avaler, l'intégration dans l'Alliance atlantique de plusieurs pays d'Europe de l'Est, notamment les Républiques baltes en 2004. Les Russes n'ont pas non plus apprécié le soutien apporté par les Etats-Unis aux révolutions pro-occidentales en Géorgie et en Ukraine, ni les activités des diplomates et agents américains dans d'autres anciennes républiques soviétiques où le Kremlin entend bien conserver son influence.
Bouclier anti-missiles
La goutte d'eau qui a fait déborder le vase a été la décision des Etats-Unis de déployer un bouclier de défense anti-missiles en Pologne et en République tchèque. Pour justifier sa décision, Washington invoque la menace que représenteraient l'Iran et la Corée du Nord. Un argument que réfute Poutine, qui note que seule la Russie possède les missiles à longue portée que le "bouclier" américain est censé arrêter. Mais face à ces camouflets répétés, la hausse récente des prix de ses principales exportations - pétrole, gaz, métaux - offre à Moscou de nouvelles marges de manoeuvre dans le domaine économique... et de nouvelles ambitions politiques après des années passées plus ou moins sur la touche. La Russie "a pratiquement toujours eu le privilège de mener une politique étrangère indépendante et nous n'allons pas rompre avec cette tradition", a lancé samedi Poutine. Il a souligné qu'il ne cherchait pas la confrontation avec les Occidentaux, a même jugé que George W. Bush était quelqu'un de "bien", mais a affirmé que les Américains ne devaient pas se croire seuls au monde, qu'ils devaient tenir compte de l'avis des autres pays, notamment la Chine, l'Inde et la Russie, pour construire un monde plus sûr. Ainsi, au Proche-Orient, Moscou souhaite faire entrer dans le jeu diplomatique l'Iran, un acteur clé dans la région, tout comme la Syrie, pour tenter de relancer les négociations de paix, mais Washington refuse cette option. De même, sur le dossier nucléaire iranien, la Russie souligne que l'intransigeance américaine n'a nullement empêché la Corée du Nord de se doter de l'arme atomique. Autant de thèmes que Poutine devrait aborder cette semaine au cours de la tournée qui le conduira en Arabie saoudite, au Qatar et en Jordanie. La fermeté des propos du président russe à Munich a été bien accueillie dans son pays, et pas seulement dans les milieux nationalistes. "Le douloureux échec américain en Irak, la tentative avortée de faire du Grand Moyen-Orient un terrain d'essai pour le modèle occidental de démocratie et le fiasco de la doctrine d'un 'Nouvel Age américain' poussent aujourd'hui le gouvernement américain à chercher un coupable", écrit le commentateur politique Vladimir Simonov, de l'agence de presse RIA-Novosti. "Dans une telle situation, la Russie avec son économie en pleine croissance, avec son image de premier fournisseur d'énergie au monde, avec la confiance de ses dirigeants, apparaît comme une cible facile à portée des Américains", ajoute-t-il.