Privatisation et mondialisation vont de pair. Selon les concepteurs de cette « dualité » ce sont les « clichés » de l'économie de marché et les conditions sine qua non de la concurrence, d'une baisse des prix pour les consommateurs, de la création de l'emploi et de la réduction du déficit budgétaire de l'Etat. Un dilemme certes, mais la Tunisie poursuit le processus de désengagement de l'Etat de l'activité économique et accomplit pas à pas son insertion dans l'économie de marché. 20 ans après la dénationalisation des entreprises, le bilan global de la privatisation est le moins qu'on puisse dire « timide ». Au terme du mois d'octobre 2006, le programme de privatisation et de restructuration a généré une recette totale de 5557 MDT. Au total, 203 entreprises ont été privatisées. C'est peu.
Partant du postulat en vertu duquel le capital privé est le meilleur garant d'une gestion efficace de l'économie et la principale source de création d'emplois, le gouvernement tunisien soutient toujours le programme de privatisation et de restructuration des entreprises publiques en difficulté et des secteurs générateurs de valeurs ajoutées. Certains observateurs économiques considèrent que le marché tunisien est partiellement ouvert au secteur privé et que la privatisation des secteurs porteurs, reste cantonnée. Or, « La réduction partielle du contrôle de l'Etat ou encore la voie de l'économie mixte », est sans issue, assurent les adeptes de Milton Friedman. Pour améliorer les recettes de privatisations de manière à absorber de la dette extérieure, à promouvoir l'investissement productif et à stimuler la croissance, l'ouverture des capitaux des entreprises publiques à l'investissement privé (étranger et national) est appelée à s'intensifier dans les secteurs porteurs dont notamment les secteurs bancaire et financier, le secteur du transport et des télécommunications.
Dénationaliser pour restructurer Les secteurs du tourisme et de l'agriculture ont été les plus ciblés par les opérations de privatisation et de restructuration jusque-là réalisées en Tunisie. Entre 2005 et 2006, six opérations de privatisations enregistrées dans le secteur agricole, deux opérations réalisées dans le tourisme, une opération dans l'industrie (SOTACIB), une seule privatisation dans le secteur financier (Banque du Sud) et de même pour le secteur du transport( Société Ennakl) et des Télécommunications (Tunisie Telecom). La nécessaire mise à niveau du secteur du tourisme tunisien et l'amélioration de la compétitivité du secteur agricole, sont derrière la politique de désengagement de l'Etat et de dénationalisation des sociétés de développement agricole et de la cession partielle ou totale de la majorité des hôtels connaissant des difficultés chroniques. Les principales opérations de privatisation réalisées en 2005 concernent essentiellement la Banque du Sud (97,7 MDT) et la privatisation de la Société tuniso-algérienne de Ciment Blanc « SOTACIB » (48,5MDT). En 2006, la privatisation de Tunisie Telecom, l'opération de siècle en Tunisie a généré une recette de 2.972 milliards de dinars, soit 53,5% des recettes globales de privatisation enregistrées en Tunisie. Cette opération de cession a ainsi relevé le volume des investissements étrangers à 4245 MDT à la fin de l'année 2006. Néanmoins et compte tenu de leur volume actuel, les recettes globales de privatisation ne peuvent en aucun cas étancher le déficit budgétaire de l'Etat estimé en 2006 à 0,2% du PIB (y compris les opérations de privatisation et à 3,2% du PIB (sans privatisations) et éponger les dettes extérieures évaluées à 51,7% du PIB à la fin de la même année .
« Toute chose étant égale par ailleurs » Outre la consolidation des équilibres généraux de l'Etat, les gains attendus de l'ouverture à la concurrence des marchés publics concernent également l'effet de la baisse des prix pour les consommateurs, l'accélération de l'innovation et l'amélioration de la qualité des services offerts aux citoyens. Pour les adeptes de la mondialisation et donc de la privatisation, la concurrence pure et parfaite inter-entreprises accélèrera la baisse des prix amorcée par la privatisation et impulsera le rythme de création d'entreprises et par ricochet d'emplois. Toute chose étant égale par ailleurs, certains considèrent que tout est relatif. Autrement dit, la privatisation n'implique pas forcément une baisse des prix des services pour les contribuables et une création de postes d'emplois. Tout dépend du secteur privatisé, du champ d'activité de l'entreprise partiellement ou intégralement cédée, du mode de privatisation ou de la restructuration adoptée (concession, liquidation...), mais aussi de la stratégie à moyen et long termes de l'acquéreur. La privatisation même partielle de la SONEDE ou de la STEG - à titre de supposition - n'aurait pas le même impact sur le consommateur que la privatisation réussie de Tunisie Telecom. Les spécificités du secteur à privatiser, notamment, lorsqu'il s'agit d'ouvrir les capitaux nationaux à l'investissement étranger influent le plus souvent sur l'appréciation des gagnants et des perdants de l'opération. Par ailleurs, les opérations de fusion et de privatisation sont généralement synonymes de licenciements. Si l'on suppose que, pour des raisons de restructuration financière, une entreprise publique ouvre la majorité de son capital à un investisseur étranger, le nouvel acquéreur procède généralement dans une première étape à alléger les charges d'exploitation à travers essentiellement la réduction de la charge des personnels. C'est paradoxal. La privatisation et la concurrence qu'elle induit est à la fois source d'investissements, d'expansion économique, de renforcement de compétitivité, de création d'emplois mais aussi une source de rétrécissement du rôle de l'Etat et de pertes, le plus souvent qualifiées de « mesurées » d'emplois. En dépit de certaines controverses, nul ne peut négliger l'importance des recettes de privatisation dans la réhabilitation de la balance des paiements du pays et dans la conversion des recettes en investissements productifs répondant aux besoins de développement économique et social. La majorité des pays en développement comme le nôtre, opte pour l'économie mixte (mi-privatisée), autrement dit : oui pour la privatisation, non pour la suppression du contrôle intégral de l'Etat. Cette voie qualifiée de « sans issue » par les protagonistes de la privatisation tous azimuts, vise le protectionnisme économique. « Les pays en voie de développement conserveront une zone réservée au secteur public pour exercer un droit de contrôle sur le marché mais aussi pour ne pas livrer leurs monnaies et leurs systèmes aux spéculations des investisseurs étrangers...Dons sur le plan d'ouverture des réseaux bancaires à la concurrence étrangère, la mondialisation et la concurrence qu'elle charrie sont les bienvenus mais, dans le cadre de notre juridiction et de l'exercice de notre souveraineté »*.
La Tunisie poursuivra progressivement le processus de désengagement des secteurs en pleine phase de restructuration et de mise à niveau ( le secteur bancaire et financier, le Tourisme...), pour laisser la place au secteur privé qui est le plus apte à relever les défis de la mondialisation. Au programme de la privatisation en Tunisie notamment dans le secteur des services, la cession des participations publiques 38,9% du capital de la Banque Tunisie et des Emirats, la privatisation de la Banque Franco-tunisienne (BFT) et la cession de participation de 76,3% du capital de la Société Magasin Général (SMG).
Yosr GUERFEL *Le Choc des intérêts : des clefs pour déchiffrer la mondialisation, de l'auteur tunisien : Slaheddine Karoui