On vient de voter à la Chambre des Députés une loi visant la protection et la sauvegarde du patrimoine des palmeraies tunisiennes, notamment dans les gouvernorats de Gabès, Kébili et Tozeur. Si les choses en sont arrivées là, c'est que nos palmiers dattiers sont menacés et qu'il y a péril en la demeure. La mesure prise avant-hier tient sans doute compte de l'apport économique indéniable de la récolte des dattes dans ces trois régions du sud tunisien. Mais d'autres dimensions et valeurs du palmier doivent être également prises en considération. Tout autant que l'olivier, cet arbre séculaire qui, en Tunisie comme ailleurs dans le monde arabe en particulier fait vivre des milliers de familles, est chargé d'histoire ; diverses cultures et civilisations en ont fait leur emblème et l'ont vénéré. Chez nous et dans d'autres pays du monde, on a chanté et chanté encore le palmier. Les amateurs d'évasion exotique ont toujours inscrit les oasis et les plages bordées de palmiers dans les paysages de leurs rêves. Un beau coucher de soleil gagne en pittoresque, en magie et en profondeur mystique lorsqu'il est accompagné du spectacle de quelques palmiers enlacés. Sur le plan écologique, c'est un arbre très peu salissant contrairement à d'autres espèces dont on encombre aujourd'hui les jardins publics et les grandes places. L'entretien du palmier ne coûte ni trop d'efforts ni trop d'argent. Un simple coup de vent peut balayer ses fleurs extrêmement fines. Tout au long de l'année, ses branches harmonieusement lovées ou légèrement tendues vers le ciel conservent leur couleur verte et leur allure de bouquet géant. Comestibles ou pas, les fruits dont s'alourdissent les régimes pendants du palmier font partie de son charme et l'enrichissent de nouvelles couleurs chatoyantes. Economiquement parlant, les palmeraies rapportent des devises au pays, permettent à divers artisans et industriels d'exploiter les palmes pour divers usages, fournissent une boisson savoureuse et désaltérante et nourrissent des millions de bouches à travers le monde. La dernière mesure en faveur des palmeraies tunisiennes nous semble opportune non seulement parce qu'elle coïncide avec la saison de la cueillette des dattes mais en raison de la place de plus en plus réduite réservée dans nos espaces privés et publics à un arbre qui pourtant incarne une partie essentielle de notre identité.
Fierté nationale Partout sur le sol tunisien, on s'évertue depuis quelques années à embellir les entrées des villes. Des monuments de toutes sortes sont érigés aux quatre coins des petites et des grandes agglomérations. Parfois le décor planté est séduisant, mais dans plusieurs cas cela manque franchement d'imagination et, plus grave, de sens esthétique. Il suffisait pourtant de s'inspirer de sites et de paysages simples et fort attrayants qui enchantent toujours les habitants et les visiteurs de certaines villes tunisiennes : l'entrée (par le nord) de la ville de Gabès est de ce point de vue un beau modèle à copier. Des deux côtés de la route rien que de la verdure ; une immense oasis à droite et une autre aussi vaste à gauche et surtout beaucoup d'ombre et de calme ! On devine aisément les cultures entreprises à l'intérieur de ces champs luxuriants grâce aux senteurs multiples dont ils parfument les alentours. Sur plus de deux kilomètres, des palmiers d'une impressionnante hauteur et des haies ondoyantes de roseaux et d'arbres fruitiers semblent entretenir le mystère sur la ville que vous abordez. A chaque détour, vous vous attendez à voir du béton mais vous êtes agréablement...déçu car c'est encore le paradis vert et généreux qui vous offre son hospitalité ! Même les petits commerces qui longent la voie sont parfaitement intégrés au décor pittoresque : peu bruyants, les marchands et leurs clients ont l'air de caresser les innombrables produits artisanaux diversement bariolés et sommairement achalandés. La ville de Gabès vous accueille aussi avec ses jarres de legmi frais, avec des régimes chargés de dattes de qualité, avec les meilleures grenades du pays et avec un air de campagne encore sain en dépit des émanations polluantes du trafic ambiant. Dommage, en revanche que l'entrée sud de Gabès ne soit pas aussi bien entretenue. On n'y rencontre presque pas de palmier et le béton a tout dévasté de ce côté-là. A Kébili, les habitants déplorent également une invasion du même type aux dépens des palmeraies. Deux d'entre elles qui contribuaient largement à la beauté du site ont cédé aujourd'hui la place à des constructions de tous genres : ces deux « forêts », comme on aime les appeler là-bas se trouvaient sur la route de Gabès et sur celle la petite ville d'El Jadida.
« Avenue des palmiers » Mais, des palmiers qui font la beauté d'un paysage, il n'y en a pas que dans le Sud de la Tunisie : à Jendouba, au nord- ouest du pays, la plus belle avenue est appelée par la majorité écrasante de la population « avenue des palmiers ». Il s'agit en fait de l'Avenue Habib Bourguiba qui se transforme pendant les soirées de chaque été en grande rue piétonne et accueille par centaines les promeneurs de tous âges. Ce boulevard doit la majesté et la noblesse dont il est empreint aux palmiers qui le bordent sur plus d'un kilomètre. C'est incontestablement l'une des plus séduisantes entrées de villes en Tunisie ; elle emprunte beaucoup d'ailleurs à la magnificence de l'Avenue Mohamed V, une des fiertés de la capitale et du pays. A Sousse, la plage de Boujaafar et la route d'El Kantaoui perdraient une large part de leur attrait, si un jour les palmiers riverains disparaissaient. A quelques jours de la Fête de l'Arbre et à l'occasion de la campagne qui démarrera incessamment pour la sauvegarde des palmeraies tunisiennes, nous proposons que l'année 2009 soit décrétée année du palmier, que de nouveaux palmiers soient plantés par centaines dans toutes les villes du pays. Cet arbre s'adapte à tous les climats et à presque tous les sols. Des journées d'étude et des colloques nationaux et internationaux doivent être programmés pour proposer les meilleurs moyens de réhabiliter le palmier et de le sauver des méfaits de l'homme et de la nature. Ce n'est pas la survie d'une espèce locale qui est en jeu ; ce n'est pas le symbole du Sahara qui est menacé, mais bel et bien l'avenir de l'un des plus beaux arbres que la nature ait produit, celui d'une espèce nourricière dont dépendent des millions de vies à travers le globe. Secourons donc les palmiers et tant pis si les meilleures dattes ne tombent pas dans les bouches des plus pauvres !