Le bureau d'information qui se trouve au milieu de la place attenante au parc était fermé, mardi dernier, un jour de vacances. L'entrée était obstruée par les marchands ambulants, ils occupaient tout l'espace. On a eu du mal à arriver jusqu'à la porte d'entrée et pourtant il n'y avait pas beaucoup de monde. Cela nous donne une idée sur la situation les jours des grandes affluences. Dès que vous franchissez la porte d'entrée, vous trouvez le plan du parc animalier où rien n'est précisé, ni les noms des animaux, ni les numéros des allées qu'il faut emprunter pour se rendre à tel ou tel endroit. De surcroît, la liste des bêtes n'est pas à jour : l'éléphant qui ne fait plus partie de l'équipe y figure encore à la place qu'il occupait jadis. Nostalgie ou marketing ? A vérifier. L'ambiance était morose, il n'y avait ni musique ni animation. Un calme de cimetière régnait sur les lieux aggravé par le silence des animaux qui se blottissaient à cause du mauvais temps. On se demande pourquoi on n'organise pas des activités, du moins pendant ces jours de vacances, visant la formation des enfants dans le domaine animalier en essayant, par exemple, de les sensibiliser à l'aide de mascottes comme Labib pour l'environnement, aux dangers auxquels sont exposés certains animaux en voie d'extinction. La pluie a dispersé la petite foule qui animait les lieux, les enfants et leurs parents accouraient dans tous les sens à la recherche d'un abri. Et ce n'est pas évident d'en trouver un. Sur notre chemin, on a croisé une famille qui avait la chance de trouver des chaises sous un arbre géant. En attendant la fin de l'averse, ces privilégiés mangeaient des sandwichs. La mère, Sihem, une habituée du parc, nous a exprimé ses regrets des années passées. « Il y avait beaucoup d'arbres, aujourd'hui on en trouve très peu, et même les rescapés ne sont plus aussi touffus qu'ils l'étaient avant, nous affirme-t-elle». C'est vrai ce qu'a dit cette femme, il n'y a plus cette densité d'arbres, d'ailleurs la vue est très dégagée, le coin a perdu son intimité et son mystère. Dans un parc pareil, on devrait aménager des espaces familiaux et construire de petits préaux couverts devant les cages et les bassins où les visiteurs peuvent se protéger du soleil et de la pluie.
Le grand disparu Nous avons continué notre promenade, et nous sommes arrivés devant la demeure de l'éléphant. Apparemment, notre cher regretté est très vénéré par les responsables, puisqu'ils sont encore en deuil, cinq ans après sa mort. On est très loin des quarante jours qu'on observe à la mémoire des humains. Cette grande différence de durée pourrait s'expliquer par celle de poids, des tonnes se mesureraient bien en nombre d'années. La grande maison qu'occupait l'éléphant ressemble à une ruine. Elle est pareille que celles léguées par les civilisations anciennes nous rappelant leurs gloires et s'incrustant à jamais dans notre mémoire. Ce grand mammifère au corps massif n'est plus, sa disparition nous rappelle celle des dinosaures. C'est comme s'il avait appartenu à une autre époque. On n'entend plus son barrissement qui nous transposait dans les jungles de l'Afrique. Il était comme un chef d'orchestre qui harmonisait les cris des autres animaux et les chants des oiseaux. Pas loin du quartier de l'éléphant, on a rencontré Khémaïes et Hfaïedh, des ouvriers, qui ont eu l'amabilité de nous parler du passé et du présent du parc dont ils prennent soin pendant plus de vingt ans. C'était de la sécurité qu'ils nous ont parlé tout d'abord. « Les couples gênent beaucoup les familles avec leur comportement indécent, nous confie le premier. Ce n'est pas bien ce qu'ils font devant les mômes, et nous, nous ne sommes pas autorisés à intervenir, ce n'est pas notre métier, et malheureusement la police ne vient qu'une seule fois par semaine, ajouta-t-il ». Hfaëdh était le compagnon de l'animal géant. « Je me suis occupé de lui de 1983 jusqu'à 2003, date de sa mort, nous confia-t-il. Il était comme un ami pour moi, vraiment il me manque beaucoup, ajouta-il sur un ton triste. Je me demande pourquoi on ne fait pas venir un autre, du parc de Frigua à Enfidha, il y en a trois, enchaîna-t-il dépité». Oui, pourquoi pas, nous de notre côté on se pose la même question. La chose ne relève pas de l'impossible, on ne demande pas de faire revenir le disparu, de ressusciter les morts, puisqu'on ne croit pas aux revenants, mais il faut assurer la succession. D'ailleurs l'éléphant n'est pas le seul animal à ne pas être remplacé, il y a aussi la girafe, le buffle, le chameau et le gnou, ont affirmé nos interlocuteurs. Manifestement, cela devient une politique pour l'administration du parc. Depuis la disparition de la girafe et surtout de l'éléphant, le nombre des visiteurs a sensiblement baissé, nous ont confirmé Hfaïedh et Khémaïes. Il est vrai que pour les enfants ce sont les animaux les plus intéressants en raison de leur taille impressionnante, les différences entre les autres ne sont pas très sensibles pour eux. C'est l'avis de Ahmed, un visiteur qui accompagnait son fils de deux ans. « C'est navrant de ne plus voir l'éléphant, on a grandi avec, il fait partie de notre passé, nous dit-il amèrement. Et je regrette son absence surtout pour mon fils qui n'a pas la chance de côtoyer cet animal superbe, ajouta-t-il ». Le non remplacement de ces animaux qu'on vient de citer et en particulier l'éléphant et la girafe nous inquiète quant au devenir du parc animalier de Belvédère. Manifestement, c'est la politique que mène l'administration depuis quelque temps. Ne serait-ce pas le début d'une faillite provoquée pour préparer sa cession au privé ? Le Belvédère était un opéra, et il est comme un prélude d'Apocalypse Now.