Que la femme tunisienne ait conquis tous les domaines de la vie active, cela n'étonne plus personne. C'est en effet dans l'ordre des choses que l'on évolue vers une égalité des chances entre les deux sexes, même si actuellement on est encore très loin de la parfaite équité. Il n'en reste pas moins que dans certains secteurs, comme l'enseignement ou la fonction publique, la participation des femmes frôle et dépasse parfois les 50 %. Le secteur des services emploie presque autant de femmes que d'hommes ; la percée féminine dans le domaine des hautes responsabilités locales et nationales est remarquable en dépit d'un taux de participation encore faible à certains niveaux, comme le montrent les chiffres officiels. Cependant, si le travail de nos femmes leur permet de retrouver la place qui leur sied dans la société, il expose beaucoup d'entre elles à des abus divers et répétés de la part des employeurs. C'est ce qui arrive à toutes ces jeunes filles embauchées comme vendeuses dans des magasins et boutiques privées, à plusieurs femmes recrutées à titre d'aide ménagères et surtout aux ouvrières du Textile.
Dans l'enseignement, ce sont surtout, les suppléantes, les contractuelles et les M.A.C.A. (titulaires d'une maîtrise dans une spécialité, mais qui en enseignent une autre) qui pâtissent de leur situation précaire et vivent constamment sous la menace d'une virtuelle rupture de contrat.
Vendeuses et ouvrières agricoles A propos des vendeuses et autres caissières engagées par des commerçants privés, elles sont en règle générale toujours « sur le départ ». Leurs employeurs ne leur assurent que très rarement un salaire décent et une couverture sociale minimale. Ils sont nombreux aussi à ne pas les déclarer auprès des services compétents. Des abus fréquents sont recensés dans les rapports financiers et moraux entre les employées et leurs patrons, et la plupart perdent leur travail au bout d'une courte période sans recouvrer tous leurs droits. Pour porter plainte, elles n'ont pas les moyens ni le temps que nécessitent les poursuites ; c'est pour cela que dans la majorité des cas elles y renoncent et s'en vont chercher du travail ailleurs, quitte à ce qu'elles soient aussi maltraitées et moins payées par le nouvel employeur ! Il faut savoir par ailleurs que les vendeuses font vivre une famille sur huit dans notre pays (ou du moins participent largement à ses frais)! Les ouvrières agricoles, qui sont également très nombreuses, ne connaissent pas un sort meilleur : presque jamais de couverture sociale, un salaire dérisoire contre des heures et des journées de travail épuisant et une situation précaire à chaque nouvelle saison.
Précarité dans le Textile Pour les ouvrières du Textile, leur nombre est actuellement d'environ 204.000, réparties entre plusieurs villes et localités dont principalement Monastir (53.367 ouvrières), Nabeul (22.271), Bizerte (19.083), Sousse (19.000 environ) et Sfax (18.137). Entre les années 2000 et 2006, la fermeture de plusieurs manufactures a mis au chômage plus de 35.000 ouvriers dont l'écrasante majorité (jusqu'à 90 %) est constituée de femmes et de jeunes filles. Les salaires touchés ne dépassent que très rarement les 300 dinars, le transport et la nourriture sont le plus souvent à la charge des travailleuses. Actuellement, les responsables syndicaux tentent de défendre les intérêts de certaines ouvrières victimes d'accidents de la route (à Sfax, à Siliana et à La Manouba) et qui ne peuvent plus exercer leur métier. Les négociations avec les employeurs se poursuivent dans des conditions difficiles alors que les trois drames sont censés être considérés comme des accidents de travail puisqu'ils se sont produits alors que les ouvrières se dirigeaient vers leurs ateliers.
Le gain aux dépens de la qualité ! Nous avons eu un bref entretien avec M. Habib El Hzami, le secrétaire général de la Fédération du textile, du vêtement, du cuir et de la chaussure, qui nous a révélé beaucoup de vérités sur la situation actuelle dans le secteur du textile mais dont nous retiendrons surtout celles qui concernent la population féminine qui y travaille. On apprend par exemple que sur les 2168 manufactures implantées en Tunisie, 600 sont fermées ou en difficulté et que la majorité d'entre elles sont tunisiennes. Les ouvrières de ces usines perçoivent une aide de deux cents dinars qui leur sera versée désormais tous les trois mois. « Beaucoup d'entre elles sont victimes d'escroquerie de la part de leurs patrons ; ces derniers leur font des promesses qu'ils ne tiennent pas, leur disent que l'entreprise ouvrira de nouveau dans les plus rapides délais mais quand les filles reviennent après le congé forcé, elles sont éconduites sans la moindre compensation ! La nouvelle tendance c'est de mettre à la retraite anticipée les ouvrières de plus de 45 ans et de n'engager que des filles de moins de 30 ans (60 % des employées actuellement). Celles-ci sont recrutées sur la base d'un contrat qui autorise leur licenciement après dix ans de travail, pour soit-disant rajeunir continuellement l'effectif des travailleuses. Or une telle mesure nuit à la qualité du produit fabriqué puisqu'on libère les ouvrières qui ont acquis une excellente expérience au profit d'une population de stagiaires sans qualification fiable. C'est d'ailleurs ce type de choix, souvent mû par la recherche du gain aux dépens de la qualité, qui fait perdre à nos entreprises tunisiennes une part du marché national et international », souligne M. Habib El Hzami.