"Refus de toute forme de violence. Le changement doit être politique" Elle paraît fragile. Mais c'est une fausse impression, Maya Jribi est la première femme tunisienne Secrétaire Général d'un parti politique quand elle parle, elle dégage une force de caractère et de sincérité qui sont les qualités de la vraie militante. Elle s'exprime dans un langage clair et limpide s'appuyant sur des arguments solides, fruit d'une longue expérience politique. Des atouts qui lui ont valu de succéder à Me Néjib Chebbi à la tête du PDP. Originaire de Tataouine, elle est née en 1960 à Tunis. Elle a fait ses études primaires et secondaires à Radès. Puis ses études universitaires à la faculté des sciences de Sfax où elle milite dans un mouvement estudiantin de gauche avant de devenir membre de la section régionale de la Ligue Tunisienne pour la Défense des Droits de l'Homme (LTDH) au début des années 80. De retour à Tunis en 1983 elle commence à travailler à l'UNICEF tout en collaborant au journal "Eraï" et participe avec d'autres militants à la création du Parti Socialiste Progressiste (RSP) qui devient en 2001 le PDP. Depuis 1986 et jusqu'à son élection au poste de Secrétaire Général en décembre 2006 elle a occupé le poste de membre du bureau politique du parti. Maya Jribi est directrice d'un bureau d'étude privé. Après Louisa Hanoun, Secrétaire Général du Parti des Travailleurs Algériens, Mme Jribi est la deuxième à occuper ce poste au Maghreb et dans le monde arabe. Interview.
Le Temps : Après des années de blocage du dialogue avec les autorités, le PDP a été invité à participer à la Consultation Nationale sur la formation professionnelle : Qu'en pensez-vous ? Mme Maya Jribi : Il faut insister sur le fait que le PDP n'a jamais refusé le dialogue. Mais à un moment donné on a décidé de ne plus nous inviter. Il y a six ou sept ans on nous invitait et le secrétaire général de l'époque a participé à plusieurs consultations. Moi-même en tant que membre du bureau politique, j'ai assisté à certaines consultations. • Parlons de l'avenir ? -Cette invitation est certes à relever d'autant plus que cela fait des années que nous n'avons pas été invités. Nous avons donc répondu comme toujours positivement à cette invitation simplement nous avons signalé l'exclusion dont on a souffert durant des années. Pour nous il est nécessaire et indispensable de consulter toutes les formations politiques sans exclusion surtout quand il s'agit de questions d'ordre national. Cette fois-ci il s'agit d'une consultation sectorielle certes très importante. Mais nous avons appelé à élargir les consultations aux dossiers politiques et y faire participer toutes les formations politiques de la société civile afin de concrétiser une réelle décrispation de la situation politique. • L'invitation du PDP à cette consultation est considérée par de nombreux observateurs comme un signe d'ouverture. -Nous considérons que la situation de crise que nous vivons a besoin de mesures concrètes et globales pour parler d'une ouverture significative et concrète à même de libérer les énergies dans une démarche constructive. • Comment vous vous sentez en tant que première femme à la tête d'un parti politique en Tunisie. -Etre femme - Secrétaire Général du PDP m'honore. Avoir bénéficié du soutien des militants du parti me donne beaucoup de confiance. J'estime aussi que cela traduit la capacité qu'ont les femmes à accéder aux postes de direction dans les différentes fonctions. J'aimerais dire aussi que je ne me considère pas comme une exception. Il est vrai que c'est la première fois qu'une femme accède au premier poste d'un parti politique en Tunisie. Mais le paysage politique et, précisément, celui syndical et associatif, comptent un nombre très élevé de femmes militantes et entreprenantes. La question qui se pose actuellement c'est celle de la visibilité de leurs actions et leurs accès aux premiers postes. J'espère en tout cas ne pas rester la seule et voir d'autres femmes accéder aux différents postes de responsabilité dans les différents domaines. • Quelle expérience tirez-vous des deux mois passés à la tête du parti. Avez-vous rencontré des difficultés ? -Non j'assume pleinement mes responsabilités en tant que Secrétaire Général selon une démarche collégiale au sein du bureau politique. Nous avons tenu deux réunions du bureau politique depuis le congrès et avons mis au point notre plan d'action pour cette année. J'aimerais dire à propos du secrétariat général au féminin, que j'ai noté un intérêt grandissant pour notre parti de la part des femmes militantes et je pense que cela me donne ainsi qu'aux autres femmes du parti le devoir de capitaliser cet engouement pour élargir les rangs des femmes au sein du parti, on assiste à une féminisation du parti et cela me fait plaisir. • Que pensez-vous des derniers événements qu'a connu le pays d'autant plus que le PDP "flirte" avec certains qui appartiennent au courant religieux ? -Nous avons toujours exprimé notre position concernant le refus de toutes les formes de violence. Nous pensons que le changement doit être politique. Il doit se faire pas le biais d'institutions populaires et libres. Certes on ne peut pas considérer cette question en dehors du contexte international et notamment en dehors de ce qui se passe en Irak et en Palestine. Mais des conditions aussi bien politiques qu'économiques peuvent constituer un terrain favorable pour ce genre de groupuscule. C'est pour cela qu'il est temps de poser les problèmes fondamentaux et de les résoudre d'une manière qui permette de libérer toutes les énergies et de garantir un développement de la société sur le plan politique, social et culturel. Nous considérons qu'une vraie ouverture politique à toutes les formations politiques permettra une vie politique plus saine et une plus forte implication des jeunes dans l'action civile constituera la meilleure garantie contre toutes les formes de violence. • Mais est-ce normal que le PDP, un parti de gauche, noue une alliance avec des éléments de ce que vous appelez la mouvance islamiste que beaucoup classe plutôt à "l'extrême" droite ? N'est-ce pas une alliance contre nature ? -Non, c'est un des principes de l'action politique : pour être efficace, il faut s'unir. Ce n'est pas une alliance, c'est un pacte conclu sur des revendications précises et urgentes. On a entamé un débat de fond avec les parties concernées. Les revendications qui nous unissent sont le droit à l'organisation, la liberté de la presse et l'amnistie générale, c'est un pacte que nous avons conclu et nous travaillons pour établir à partir de ce noyau, un programme politique. Interview réalisée par