Paradoxalement, au moment où la population de la planète vieillit, une véritable révolution dans l'approche du vieillissement et la prise en charge des personnes âgées, pouvant aboutir, bientôt, à la disparition même de la notion de vieux, se dessine à l'horizon, à en juger par les débats ayant marqué une conférence organisée, ce vendredi 23 février 2007, par l'Office national de la famille et de la population (ONFP), à son siège, à Tunis, sur le vieillissement et les régimes de retraites. Déjà, les vieux sont appelés ''seniors'' dans certains pays européens, alors qu'un espace large est consacré, dans les spots publicitaires, aux soins et produits de rajeunissement et de lutte contre la vieillesse, de sorte qu'avec le progrès économique, social et médical, les critères et repères physiques servant traditionnellement à définir et à distinguer la vieillesse ne sont plus valables. Désormais, l'avancement en âge et la vieillesse ne couvrent plus une même réalité, car, comme l'a dit un des conférenciers invités à animer la manifestation, le professeur Jean-Marc Dupuis, de l'Université de Caen, en France, l'âge, mesurée en années, est quelque chose de neutre et relève plutôt du conventionnel, alors que le vieillissement est un état et un phénomène physique. Ainsi, le terme de vieux en France s'applique aux gens de plus de 65 ans tandis qu'en Hollande, il s'applique aux personnes de plus de 75 ans. En même temps, l'espérance de vie à la naissance augmente, sans cesse, partout dans le monde. En Tunisie, elle est passée, actuellement à 73 ans, alors que dans 50 ans, selon Mr Dupuis, une française sur deux sera centenaire. Sur un autre plan, l'évolution des mœurs encouragée par le progrès économique, social et scientifique, a entraîné une baisse notable de la natalité. Aussi, en utilisant les termes usuels, les populations vieillissement. Le nombre des personnes âgées augmente, dans tous les pays, tandis que la ratio des personnes en cessation d'activité pour cause de vieillesse, par rapport aux personnes encore actives et productives, se réduit, sensiblement, c'est-à-dire que les vieux inactifs deviennent plus nombreux que les jeunes actifs. En Tunisie , le pourcentage des personnes actives est, encore, élevé, atteignant 67%, mais il tend à se rétrécir, au fil des ans et des décennies, au profit de la tranche âgée dont le pourcentage passera, selon les projections, à 32% en 2030 et 46%, en 2055.
Garantir un revenu décent aux personnes âgées Or, un des acquis du développement social enregistré, à notre époque, à l'échelle planétaire, a été l'institutionnalisation de systèmes de sécurité et de couverture sociales, à travers la mise en place de régimes de retraites et d'assurance-maladie en faveur de tous les membres de la société, grâce à une redistribution organisée du revenu national. Dans cette optique, les régimes de retraite ont pour mission d'assurer un revenu de vie décent aux personnes âgées qui ne sont plus actives, en leur versant une pension appropriée, en fonction de leur apport pendant leur vie active, suivant des critères déterminés. Mais, avec les mutations démographiques signalées, les régimes de retraites gérés par des Caisses sociales généralement publiques sont devenus des défis majeurs aux pouvoirs publics, dans les pays développés comme dans les pays en développement, dans la mesure où le volume des dépenses financières occasionnées par les retraites continue d'augmenter et de croître considérablement avec l'augmentation et l'accroissement du nombre des personnes âgées, dans la société. Ces défis atteignent un seuil critique lorsque le nombre des personnes âgées dépasse celui des personnes actives, situation appelée ''choc démographique'' dont souffrent, actuellement, les pays européens et occidentaux, en général. Dans certains de ces pays, les dépenses sociales occasionnées par les pensions de retraite atteignent 14% du PIB, de sorte que les régimes de sécurité sociale en Europe traversent des crises financières aigues, poussant les gouvernements de toutes les tendances à procéder à des réformes profondes des régimes de retraites et de la Sécurité sociale, en général. Cependant, là où le bas blesse, comme l'ont dit les conférenciers, ces réformes sont devenues, aussi, de véritables défis. La Suède a mis en place une réforme dans ce sens, qui a nécessité 15 ans de débats. En Italie qui vient de procéder à une réforme identique, le débat a duré 10 ans. En effet, des acquis et droits fondamentaux peuvent être touchés, en recherchant, à tout prix, de rééquilibrer les finances des Caisses sociales déficitaires chargées de gérer les régimes de retraites. Selon Mr Dupuis, les pays européens ont refusé d'appliquer des plans de réforme de leurs régimes de retraites, proposés par la Banque mondiale qui s'est retournée, alors, vers les pays en développement pour les leur suggérer. C'est que dans la plupart des pays développés et des pays en développement, les régimes de retraites sont financés par la formule dite ''formule de répartition'' qui oblige toutes les composantes du système de production en activité, personnes physiques et entreprises économiques, à payer des cotisations, à ce titre, aux Caisses sociales, en vue de verser, plus tard les fonds recueillis de cette façon, sous forme de pensions aux personnes parties à la retraite à un âge déterminé. Puisque le montant de ces fonds dépend du nombre des éléments actifs payant des cotisations, une rupture du ratio entre les éléments actifs et les éléments non actifs ou âgées partis à la retraite est propre à provoquer des déséquilibres pour les Caisses sociales.
Les solutions possibles Comment, dès lors, garantir la pérennité des régimes de retraites, tout en continuant d'assurer des revenus de vie décents aux retraités comme il a été le cas, jusqu'à présent. Dans les pays développés, le revenu d'un retraité est très proche, et parfois plus élevé, que celui d'un élément actif de la même catégorie, car le système de répartition tel qu'il est appliqué, dans beaucoup de pays, garantit à la personne partie à la retraite, un revenu atteignant jusqu'à 80 % de son revenu, en période d'activité. Au nombre des mesures proposées et appliquées figure le décalage ou le recul de l'âge de départ à la retraite, comme en Allemagne où le départ à la retraite est reculé à 68 ans, alors qu'en Tunisie et dans plusieurs autres pays, il est de 60 ans. A cet égard, Mr Dupuis, qui est un économiste, a soutenu que contrairement à ce qu'on pense, le recul de l'âge de la retraite n'a pas de répercussions sur l'emploi des jeunes, affirmant que les pays européens qui ont reculé l'âge de la retraite enregistrent les taux les plus faibles en matière de chômage des jeunes. Une autre solution consiste à jouer sur le système de point et sur la période dite ''période de référence'' pour le calcul de la pension de retraite. En effet, le revenu annuel de l'intéressé en période active qui sert à calculer la pension de retraite, varie au fil des ans, notamment pour les salariés, de sorte qu'une pension calculée sur une période de 3 ou 10 ans avant le départ à la retraite diffère d'une pension calculée sur une période de 25 ans, avant la retraite, pour une même personne. Grâce à cette astuce, le revenu des retraités, dans certains pays européens, a été ramené à 67% du revenu en période active, contre 80%, auparavant. Mais, l'une des grandes réformes appliquées et envisagées est la capitalisation qui consiste à ne pas geler les fonds de retraite et à chercher à les fructifier par des placements en Bourse, l'achat de propriétés foncières, d'emprunts de l'Etat. La Tunisie s'inspire, d'ailleurs, de toutes ces formules pour préserver l'équilibre de ses Caisses sociales qui s'occupent des retraites et de l'assurance-maladie. Une grande réforme de ce dernier volet doit entrer en application en juillet prochain. Les plus radicaux des spécialistes, enfin, préconisent une privatisation des régimes de retraite, à l'instar de l'activité économique et commerciale. Toutefois, pour Mr Mohamed Châabane, directeur du Centre tunisien de recherche sur la sécurité sociale et au-delà de toutes ces pistes qu'il faut explorer avec prudence, seule une croissance économique soutenue, génératrice de richesses et d'emplois, peut éviter les effets du vieillissement sur la pérennité des Caisses sociales et faciliter l'introduction de réformes adéquates.