Une ville c'est comme une femme : quand elle n'est pas naturellement séduisante, elle se fait une beauté, se bichonne, se farde, se donne un genre et met ce qu'elle a de plus élégant, de plus attirant et de plus cher ! Nos villes à nous ne semblent se soucier de leur « look » que très occasionnellement, par exemple pour accueillir un invité de marque. Là, toutes les bennes sont réquisitionnées, tous les ouvriers municipaux sont mobilisés avec leurs balais, leurs citernes d'eau, leurs chariots et leurs camions. Les guirlandes colorées sortent des magasins pour orner les frontons des édifices publics et les rangées d'arbres qui bordent les routes. Les artificiers, les peintres, les jardiniers, les éboueurs, et une armada de colleurs d'affiches et de porteurs de banderoles sont à pied d'œuvre pour enjoliver la cité (ou du moins les endroits par où passera le cortège officiel) et y répandre un air de kermesse. En quelques heures, les mares boueuses disparaissent, les regards sont débouchés et les canalisations fluidifiées, les trottoirs sont revêtus et les chaussées bitumées, les feux de signalisation comme par enchantement se remettent à clignoter et les monuments de la ville retrouvent leur éclat et leur majesté. C'est là le bon côté des visites officielles : elles métamorphosent le plus nu des paysages et la plus négligée des agglomérations. Pour que nos villes fassent plus régulièrement leur toilette, il en faudrait une tous les jours, les officiels qui s'y rendent doivent inspecter plus d'un quartier et plus d'une artère à chaque déplacement. Des dizaines d'autres mesures sont également à prendre et elles ne concernent pas que le personnel de la commune, ni seulement celui de l'ONAS ou du ministère de l'Equipement. Les habitants doivent assumer leurs responsabilités de citoyens et contribuer à la propreté et à l'embellissement du site où ils vivent. Dans ce sens, les propriétaires et locataires des immeubles et des petites demeures sont appelés à repeindre les murs de ces constructions au moins une fois tous les deux ans, faute de quoi une lourde amende pénaliserait leurs occupants. Les entreprises de construction immobilière devront respecter rigoureusement les clauses d'un cahier de charge strict. Aucune modification des plans agréés ne doit être tolérée sans autorisation préalable ni quand elle porte préjudice à la beauté du site. Les « faveurs » accordées aux plus offrants doivent cesser et être sévèrement punies. La recommandation de réserver des espaces verts et des aires de jeux dans chaque nouvelle cité ne saurait être contournée sous aucun prétexte.
Solidarité tous azimuts Pour ce qui est de l'éclairage public, il est nécessaire d'y consacrer des tournées d'inspection régulières en dehors du contrôle d'urgence quotidien. Le nombre des conteneurs mis à la disposition des citoyens est à multiplier par deux ou par trois dans chaque rue. Dans les artères du centre-ville, celui des poubelles installées des deux côtés de la voie est pour le moment très insuffisant ; il faudrait donc l'augmenter conséquemment pour créer le réflexe écologique chez les usagers, automobilistes ou piétons. Mener sans relâche les campagnes de sensibilisation et les journées de bénévolat à l'intérieur des cités les moins propres est une initiative efficace si elle est appuyée par la création d'un fonds de solidarité en vue d'aider les ménages les plus modestes à soigner l'aspect extérieur de leurs habitations. Les prix des matériaux de construction doivent être revus à la baisse afin de permettre l'achèvement convenable des travaux. Ce ne serait pas non plus une mauvaise idée de créer dans les municipalités un service d'aide à la construction dont les tarifs seraient plus abordables que ceux des promoteurs et des entrepreneurs privés.
L'anarchie ! Concernant la circulation en ville, il est urgent d'imposer l'alternance entre les véhicules selon la nature des chiffres qui composent leurs immatriculations, un jour pour les pairs et le lendemain pour les impairs par exemple. Le stationnement des voitures doit être réétudié pour ne plus voir simultanément deux rangées interminables de véhicules garés des deux côtés de la chaussée. Tout stationnement anarchique doit être plus sévèrement sanctionné qu'il ne l'est actuellement. Des pistes cyclables sont à créer ; quant aux parkings, il faut en augmenter le nombre et la capacité d'accueil. Pour ce qui est des stations de louage, elles sont trop encombrées et gênent considérablement la circulation à certains points stratégiques de la capitale. Certaines gares routières doivent déménager, celle de Bab Saâdoun entre autres. Les stations de bus ne sont pas toutes installées à l'emplacement adéquat et sûr, quant à leur aspect extérieur, il dénote un mauvais goût évident et trahit un manque déplorable de confort.
Budgets insuffisants Toutes ces suggestions ne tiennent peut-être pas compte des budgets alloués aux ministères et collectivités concernés par la propreté et la beauté de nos villes. Souvent, ces institutions disposent tout juste de quoi colmater les brèches. Or le toilettage des villes nécessite des sommes colossales qui vont ailleurs la plupart du temps. D'autres projets ambitieux sont décrétés comme prioritaires et c'est ce qui fait que dans certains cas, les bâtiments abritant les administrations chargées de nettoyer et d'embellir les villes ne répondent pas eux-mêmes aux conditions minimales de propreté et de salubrité. Qu'on fasse un tour dans plusieurs bureaux, couloirs et étages de la mairie de la rue de Carthage pour s'en convaincre. Cela se passe à Tunis et dans une prestigieuse commune !
Droit de cité Pour que les villes tunisiennes fassent peau neuve, pour que leurs murs guérissent de la « lèpre » qui les enlaidit, pour que les constructions anarchiques disparaissent, et que nos paysages citadins soient dignes d'un pays qui tient la protection de l'environnement pour un pilier du développement, il reste beaucoup à faire du côté des pouvoirs publics comme du côté des citoyens. Notre politique en matière d'urbanisme doit renoncer à ce choix de favoriser les sites-vitrines au détriment des agglomérations centrales des villes. Les zones non touristiques méritent autant d'égards que celles des grandes unités hôtelières. Par ailleurs, les familles modestes n'ont pas toujours les moyens de bien entretenir et de manière régulière leurs logements. Une fois toutes les décennies, ils badigeonnent les façades et consolident sommairement une barrière. Sinon, ils remettent cela à la décennie suivante. Les étages supérieurs irréguliers qu'ils se font construire par des apprentis maçons leur permettent à eux ou à leurs descendants d'épargner le montant élevé d'un loyer chez d'autres propriétaires. La beauté des villes est, personne ne peut le nier, en étroite relation avec la condition sociale de ses habitants. Il n'empêche que si dans nos cités, chacun y mettait du sien, la laideur n'aurait plus droit de...cité !