« Pas évident. Car la gauche tunisienne ré-enfante l'idéologie communiste » * - Interview de Mohamed Ali Halouani, ex-président du Conseil National d'Ettajdid et candidat aux présidentielles de 2004 Ex-président du Conseil national du mouvement « Ettajdid » et candidat du parti à l'élection présidentielle de 2004. Mohamed Ali Halouani est actuellement en dehors du parti. Sa candidature a pourtant été parrainée dans le cadre de l'initiative démocratique par plusieurs personnalités indépendantes et progressistes. Mais, il est parmi les mécontents des travaux du dernier congrès d'Ettajdid de juillet 2007. Il nous parle ici de son expérience comme candidat, de l'Initiative Démocratique et des échéances électorales de 2009. Interview.
Le Temps : Quelle est l'évaluation que vous faites de la situation politique en Tunisie au début de cette année électorale ? Mohamed Ali Halouani : Au fond, je ne suis pas loin de penser que cette année électorale ne sera pas différente des précédentes. Car, où est la nouveauté ? Dans le mode de scrutin qui soit disant, favoriserait la démocratie et de surcroit...l'opposition ? A quelque chose près ce dispositif juridique est resté le même, c'est-à-dire une machine qui empêche d'exprimer le véritable rapport de forces qui existe dans la société réelle, et qui cherche même, par delà les bonnes intentions, à briser toute velléité d'opposition authentique. La loi exceptionnelle relative aux conditions de recevabilité des candidatures pour la présidentielle me diriez-vous ? Comme chacun le sait maintenant, elle est plutôt régressive et restrictive puisqu'elle permet de statuer au cas par cas, et comme qui dirait sur mesure, alors que nous savons depuis Platon que le véritable Etat de droit est le règne de la loi dite générale ou universelle. . Y a-t-il eu des changements sur le plan politique depuis 2004, année au cours de laquelle vous étiez le candidat de « l'Initiative Démocratique » qui tournait autour du parti "Ettajdid". - Ainsi que je viens de le rappeler, rien de substantiel n'est venu rompre le train-train d'une vie politique dominée par un parti politique hégémonique, réduisant pour ainsi dire à néant toute velléité de participation honorable à un changement appréciable. Seulement la question qui m'est posée fait allusion me semble-t-il, aux raisons profondes qui avaient dû motiver la participation d'Ettajdid au sein de "l'Initiative Démocratique" aux élections présidentielles de 2004 alors que paradoxalement les mêmes manquements étaient déjà présents ! Le pourquoi d'un tel choix dans un contexte aussi difficile et décourageant relève, au fond, d'une analyse politique qui a toujours été prônée par Ettajdid. Il s'agit en réalité d'une analyse qui rompt avec les pratiques élitistes traditionnelles de la gauche tunisienne qui se cantonne d'ordinaire dans des positions politiques incantatoires de dénonciations et de récriminations aussi spectaculaires qu'inefficaces. Ainsi, l'alliance entre les groupes politiques qui ont constitué "l'Initiative Démocratique" a-t-elle été expressément fondée sur l'adoption d'une ligne politique nouvelle qui considère que seule une lutte politique dite de terrain était à même de faire bouger les choses de façon concrète. Il s'agit justement d'une stratégie de mobilisation politique globale qui ne se restreint pas nécessairement à la classe ouvrière puisqu'elle inclut en plus du prolétariat, toutes les couches sociales qui ont intérêt à mener, si j'ose dire, une lutte de proximité pour l'existence d'une démocratie représentative réelle, capable de promouvoir une politique sociale progressiste, fondée sur une juste répartition des richesses et un respect profond des droits de l'homme et du citoyen, avec en plus, un soucis particulier à l'égard de l'égalité entre les deux sexes. Pour tout dire, il est question d'une forme de lutte politique originale qui doit se traduire nécessairement par l'investissement des places fortes du pouvoir politique, de sorte que les structures délibératives de l'Etat républicain qui sont en vérité les lieux naturels du pouvoir populaire, ne restent plus une chasse gardée du pouvoir en place, mais puissent par contre, être réappropriés le plus démocratiquement possible, par les forces politiques présentes sur le terrain de la compétition politique légale. Bien sûr, certaines "gens mal intentionnés "n'y ont vu qu'une façon plutôt sournoise de conforter la politique de « démocratie participative de façade prônée par le pouvoir ». Et ils avaient misé en effet sur l'effondrement de l'Initiative au beau milieu du chemin. Rien que cela voyez-vous! Mais contrairement aux pronostics les plus pessimistes, l'adhésion du peuple de gauche avec toutes ses composantes à cette ligne politique nouvelle, ainsi que la sympathie active de la population finirent par transformer "l'Initiative Démocratique" en un véritable raz-de-marée politique qui déferla sur la gauche, balayant d'un seul coup les craintes, les frustrations et les résistances, tout en ravivant dans les cœurs, au grand dam des uns et des autres, les flammes d'un espoir nouveau.
. Pourquoi « « l'Initiative Démocratique » est-elle restée sans lendemain sur la scène politique et n'y a-t-il pas une initiative similaire pour 2009 ? - Vous savez comme moi qu'il existe déjà une initiative commune officielle autour d'Ettajdid pour 2009. Mais reste à savoir si elle est similaire à "l'Initiative Démocratique" de 2004. Néanmoins, et sans préjuger de l'avenir, je pense quant à moi que la prochaine réédition n'a presque rien de commun avec la première. Tout d'abord parce que l'histoire ne se répète jamais, mais aussi et surtout parce les protagonistes de la nouvelle initiative se sont redéployés politiquement autour d'une ligne politique qui n'est déjà plus celle du premier Tajdid ni à plus forte raison celle de "l'Initiative Démocratique". Ce redéploiement politique, qui n'est selon moi rien d'autre qu'une des formes du repli sur soi de la gauche, s'explique par la résurgence de fait de la doctrine communiste comme idéologie prépondérante au sein de certains partis de la gauche tunisienne avec son lot de réflexes élitistes et isolationnistes propres à une frange cultivée de la petite bourgeoisie citadine qui est restée malgré son crédo populiste et prolétarien, assez éloignée en fait des préoccupations sociales et politiques réelles du peuple laborieux de la Tunisie profonde. Et je suppose que je ne vous apprendrai rien de nouveau en ajoutant que c'est pour cette raison que je vois mal l'épanouissement d'un mouvement politique d'envergure nationale sur la foi d'une idéologie politique dont le champ social d'application se rétrécie de plus en plus comme peau de chagrin, et qui risque fort de ce fait, de rester tout à fait marginale dans la société tunisienne. Mais au fond, et pour ne pas esquiver un aspect important de votre question, je voudrais ajouter tout de même que le relatif succès d'une mobilisation sans précédent des démocrates de gauche et des progressistes toutes tendances confondues lors de la dernière présidentielle, a dû échauffer fortement les esprits, de sorte qu'il est probablement à l'origine de la folle envie qui s'est soudainement manifestée chez certains groupes politiques, de faire fructifier pour leurs propres comptes les dividendes de ce succès, tout en écoutant les sirènes des lendemains qui chantent. Mais dans cette logique perverse, il fallait malheureusement passer par une mise à mort de la première Initiative. Et le jeu de massacre commença comme cela se doit, par le sacrifice des symboles qui l'ont dignement incarnée ! Mais il faut dire aussi que cette gauche là n'est pas la seule à porter la responsabilité d'un tel désastre politique. Je pense que d'autres forces politiques y trouvent aussi leurs comptes.
. Les observateurs pensent qu'Ettajdid est un parti d'une élite de "cheveux gris", est-ce que vous partagez ce point de vue et que faudrait-il faire pour le voir plus près des masses ? - Je vous ne le fais pas dire. Mais aussi bien Ettajdid que d'autres partis de la mouvance de gauche sont effectivement constitués en majorité d'élites de "cheveux gris", qui sont croyez-moi, fiers d'arborer le gris de leurs cheveux à la manière d'un trophée de guerre et pourquoi pas aussi, comme signe de sagesse. Mais là n'est peut-être pas le sens de votre question. Pour vous répondre, je dirai tout simplement que les partis politiques de l'opposition de gauche souffrent depuis longtemps d'ostracisme, de harcèlement et de brimades dites sécuritaires. N'est-ce pas assez pour justifier largement le peu d'enthousiasme des gens et surtout des jeunes pour lier leur avenir au destin incertain et dangereux des formations politiques de l'opposition ? Mais malgré cela, je pense qu'il ne faut jamais cesser d'affirmer et de croire que ni l'oppression ni les restrictions ne peuvent en vérité contraindre les militants d'une juste et noble cause à s'écarter de leur voie, ou à baisser leur garde. C'est, d'ailleurs pour cette raison que les bonnes et justes causes ne sont jamais à court d'hommes, ni à plus forte raison à court de moyens, même si les oppresseurs de tous bords font toujours mine d'oublier ce précepte de la sagesse des nations.
. Qu'en est-il des dissensions au sein du parti suite au dernier congrès ? Y a-t-il un compromis en vue des prochaines élections ? -Vous n'êtes pas sans savoir que j'avais critiqué ouvertement et sévèrement le déroulement de ce congrès déjà mal parti depuis sa préparation. Et pour prendre la mesure de l'irrégularité et de la gravité de la reprise en main d'Ettajdid par des factions revanchardes, alliées à certaines nouvelles recrues aux visées douteuses, j'avais alors choisi de quitter le parti puisque j'étais convaincu qu'il venait de subir un assaut en bonne et due forme, visant à le délester manu militari de ses équipes dirigeantes historiques, à disqualifier tous ses acquis politiques et surtout à faire renaître de ses cendres le Parti Communiste Tunisien dans le but de réparer l'usurpation dont il aurait fait l'objet avec la naissance d'Ettajdid! Seulement le courage avait manqué d'annoncer publiquement cette résurrection !. Calcul politique me diriez-vous ? Peut-être bien, surtout que, les motions du congrès sont restées muettes sinon discrètes sur la restauration effective de la doctrine communiste comme idéologie d'Ettajdid II, bien que paradoxalement le site internet actuel qui héberge ce Mouvement ne laisse aucun doute là-dessus. Il indique en effet clairement qu'il s'agit d'un Mouvement « issu d'un "élargissement" du Parti Communiste Tunisien ». Aussi, de quel compromis pouvons-nous encore parler ? Même les "Indépendants" qui ont intégré Ettajdid à l'occasion du congrès sur la base de la ligne politique ouverte de "l'Initiative démocratique" et qui ont été nombreux à avoir été honteusement écartés, ont appris à leurs dépens que le Mouvement n'était nullement disposé à faire des concessions sur quoi que ce soit! Et c'est la raison pour laquelle, là aussi, aucun espoir n'est jusqu'à ce jour envisageable, même si des tentatives de réconciliation ont déjà eu lieu!
. Tous les mouvements d'oppositions font des alliances autour d'objectifs déterminés, électoraux et autres. Selon vous, qu'est-ce qui empêche l'opposition en Tunisie d'agir de la sorte ? - Vous oubliez que "l'Initiative Démocratique" fut une forme évoluée d'alliance politique, et que c'était un peu cela le secret de sa réussite relative. La chose est donc possible, et je ne vous cache pas que je vois venir le temps, où justement des alliances fortes feront et déferont les politiques de demain. Mais cela c'est une autre histoire. Pour conclure, je devrais faire preuve malgré tout d'un optimisme à toute épreuve ; un optimisme fondé sur la vaillance de notre peuple qui en a vu bien d'autres, et pourquoi pas aussi, sur l'humanisme profond qui, je crois, nous anime tous.