8650 vies partent en fumée, chaque année. Sur une population de dix millions d'habitants, c'est effrayant. Et, en plus, la moitié des hommes tunisiens fument. Dans la foulée, au nom, peut-être, de l'égalité des sexes, les femmes font malheureusement de grandes avancées sur le terrain de la mort. C'est connu: les Tunisiens fument comme des pompiers. Et il faut aussi avouer que dans quelque domaine que ce soit, nos concitoyens – nous autres tunisiens – sont peu enclins à la culture de la modération. Cela commence par "une clope" qui fascine, qui donne l'illusion de l'émancipation, de la rébellion contre l'autorité parentale. Puis une cigarette, une autre et une autre… un paquet, des paquets, alors que le poison s'insinue tranquillement dans les veines, commandant le cerveau et consumant les poumons. Sur le plan individuel c'est un drame. Il n'est guère de gros fumeur qui prenne plaisir à fumer. Mais la dépendance est telle qu'il ne peut faire autrement. Car par ailleurs l'environnement est plutôt incitatif, désinvolte même, passant outre des lois bégayantes et que personne ne veut réellement mettre en pratique. Où en sommes-nous des mesures (et des lois) interdisant le tabac dans les endroits publics? Sait-on qu'on fume quand même, d'une certaine manière, dans les hôpitaux et les cliniques? Sait-on qu'on fume dans le métro, dans les trains et dans les bus. Ne voit-on pas des "accros" fumer dans les bibliothèques nationales, des enseignants en classe et même des "animateurs" dans les crèches et les jardins d'enfants? Et encore "mari et femme" qui ne sont en harmonie qu'autour d'un cendrier bien plein?… Sur le plan national, le tabagisme coûte trop cher à l'Etat. Et d'ailleurs l'hôpital de l'Ariana ne parvient plus à contenir le flux des victimes de la cigarette, cependant qu'à l'Institut Salah Azaïez le cancer du poumon est tellement banalisé, si facilement accepté qu'on finit par trouver normal qu'un être humain mette patiemment tant d'années de sa vie à chérir cette cigarette conçue pour lui incinérer les poumons et les tripes. Sans doute ne peut-on faire d'exposés chiffrés de ce que rapporte l'industrie du tabac aux caisses de l'Etat, sachant qu'elle emploie des centaines de milliers de personnes. On remonte de mauvaise grâce aussi jusqu'aux filières d'importation illicite de cigarettes étrangères et de narguilé meurtrier, suprême carburant ce "Maâssel" qui se généralise et qui est en plus prisée par les footballeurs! Le tabac est en effet un mal nécessaire pour l'équilibre budgétaire. Soit. Mais qu'on applique au moins la loi. Qu'on impose les espaces non-fumeurs, qu'on réprimande sévèrement la fraude et que l'on protège les enfants – auxquels on apprend à fumer ou à vendre, à la sauvette, les cigarettes – contre une mort si précocement programmée. Et déjà dans les campagnes anti-tabac, trouvons autre chose que cette hypocrisie inscrite sur les paquets de cigarettes: "le tabac nuit à la santé" autre chose que les slogans creux, vides, ennuyeux jusqu'à donner envie d'allumer "une clope".