Les faits divers quotidiens ne cessent de nous rapporter des scènes de violence dénotant l'aggravation de ce phénomène chez les jeunes. Lequel phénomène a atteint des dimensions inhabituelles d'agressivité avec, notamment, des tentatives de meurtres se produisant au sein même des espaces scolaires comme le meurtre qui a eu lieu dernièrement dans un lycée à Gafsa. Les phénomènes de criminalité et de délinquance prennent de l'ampleur chez les jeunes avec l'apparition de gangs organisés et la montée de violence entre les jeunes. L'ampleur du phénomène a fait que sociologues, chercheurs et représentants de l'administration se penchent quotidiennement sur cette question de la délinquance chez les jeunes. L'étendue de ce fléau n'est pas spécifique à la Tunisie. Elle a été remarqée partout dans le monde et elle a déjà fait l'objet d'une attention particulière au cours des deux dernières décennies, en Finlande, au Norvège, au Canada et en France. Plusieurs organismes et centres de recherche ont fait diverses enquêtes ayant pour objectif de comprendre les origines et les caractéristiques de ce fléau qui ne cesse de prendre de l'ampleur et qui appelle à une réaction musclée pour tenter de le maîtriser. Par ailleurs, la littérature comme les outils d'intervention concernant la violence chez les jeunes, sont fort nombreux. Ils servent à mieux comprendre le phénomène afin de mieux y faire face. Diverses études ont été effectuées sur le phénomène des dérives chez les jeunes tunisiens. Ils ont tous abouti au constat que plus de 50% des actes de violence se font dans l'espace public (cafés, rues, transport public, stades...), le reste est enregistré soit dans le milieu scolaire, ou à domicile entre les membres d'une même famille. Le phénomène est dû à la conjugaison de plusieurs facteurs qui, en s'accumulant, marquent la personnalité vulnérable du jeune adolescent. «Le stress, la tension et l'aspect conflictuel qui caractérisent le rapport des adolescents avec les composantes de leur environnement font resurgir un comportement violent qui se manifeste dans une première étape par une violence dans le vocabulaire utilisé pour s'exprimer et qui peut se transformer ultérieurement en une violence et un comportement de vandalisme», ont observé les analystes.
La rupture, au-delà des statistiques On a procédé à la synthèse des études disponibles effectuées en milieu scolaire, qu'elles soient sur la violence ou les raisons des renvois. Elles ont révélé que la violence dans le milieu scolaire est apparue au début des années 90. Durant l'année scolaire 2004-2005, les établissements scolaires ont enregistré 2054 cas de violence. Depuis, ce nombre s'est sûrement multiplié mais, on ne se classe pas encore au niveau de certains pays où les statistiques sont nettement plus alarmantes et où les préjudices sont plus graves. Il n'empêche que le phénomène nécessite davantage d'intérêt, surtout après l'apparition de la criminalité. Le cas du crime dans un lycée à Gafsa est certes un cas isolé mais il dénote que l'enceinte scolaire n'est plus aussi saine qu'auparavant. Il faut relever aussi les résultats d'une étude menée entre 2000 et 2003 dans des écoles réparties sur tout le territoire de la république et qui a touché 5000 élèves ayant été renvoyés pour conduite indisciplinée, a révélé l'étendue de la crise de confiance entre les quatre composantes de l'espace scolaire : enseignants, élèves, parents et administration. L'étude effectuée à travers la méthode d'investigation par entretien a fait participer 174 enseignants, 116 encadreurs, 68 directeurs d'établissements scolaires et 570 parents des deux sexes. Sur la base du nombre d'élèves qui ont fait l'objet d'une mesure d'expulsion temporaire ou définitive, il s'est avéré que dans 98% des cas, les parents, convoqués pour assister aux Conseils de discipline devant lesquels leurs enfants ont été traduits, ont brillé par leur absence ! Il s'agit de 5000 dossiers entre 2000 et 2003. Les experts ont expliqué le phénomène par l'existence d'une crise de confiance manifestée par les parents envers les parties intervenantes, dans le milieu scolaire. Il se peut bien aussi qu'une partie de ces parents ne soit pas informée par leurs enfants de la tenue de ces conseils. Par ailleurs, les résultats de l'enquête montrent que 58% des élèves concernés par l'expulsion appartiennent à la tranche d'âge 16-18 ans. Cette catégorie représentant l'âge de l'adolescence. Les experts concluent que « le milieu scolaire est un espace très fermé et ne tolère pas l'intervention extérieure représentée par les parents qui se sentent écartés et ne sont jamais intégrés dans le circuit de la décision. L'institution scolaire n'est pas gérée d'une manière collégiale mais, plutôt, comme une administration. Cette bureaucratie fait naître une mauvaise représentation de l'école chez les parents qui sera transmise aux enfants. Ces derniers adoptent par conséquent une attitude très hostile envers l'école qui se traduit par un comportement physique et verbal agressif», note un sociologue. Les enseignants ne sont pas, à ce propos, sur la même longueur d'onde. Une professeure de sciences physiques fait remarquer qu'il faut quelque part "durcir les mesures disciplinaires prises contre les auteurs d'actes de violence", même si elle s'oppose au "châtiment corporel". Son collègue, professeur de philosophie, indique que le dialogue, sans châtiment, s'est avéré "improductif" d'autant plus que "les cellules d'écoute et d'orientation installées au sein de plusieurs établissements éducatifs n'ont pas permis d'atténuer l'ampleur du phénomène". Des sources bien informées au sein des représentants des enseignants précisent que le durcissement du système disciplinaire permettra, entre autres, de redorer le blason terni des enseignants et de juguler le phénomène. Ces mêmes sources appellent également à "lutter contre l'encombrement au sein des établissements éducatifs et des salles de classe puisque l'expérience a prouvé que le surnombre fait souvent le lit des actes de violence". Quant aux parents, ils se considèrent exclus du circuit de décision : "les professeurs, maillon essentiel de la chaîne éducative, accordent de moins en moins d'importance au volet contact humain avec les élèves d'autant plus qu'une partie d'entre-eux exerce une activité secondaire et donne des cours particuliers. L'élève a plus que jamais besoin d'un professeur qui sait allier subtilement discipline et dialogue", estime un haut cadre, père d'un brillant élève âgé de 16 ans. Les élèves critiquent également les enseignants "conservateurs" et "peu ouverts". Ce lycéen, en 4ème année, souligne que "les profs devraient faire preuve de plus de souplesse et d'esprit sportif puisque les élèves ont horreur de l'enseignant qui ne sait pas se retenir à la moindre petite farce".
L'absence de repères Les experts expliquent la violence chez les jeunes par le désir d'exprimer leur mécontentement à l'égard de la société. «L'espace public représenté par des services comme les transports, les stades, les lycées et les zones vertes et dont l'impact n'est pas à la hauteur des espérances de cette catégorie stimule chez les jeunes un sentiment de rejet qui se traduit à travers une violence parfois exagérée», soulignent-ils. La famille et l'encadrement social sont mis en cause dans la recrudescence du phénomène de la violence : «La grande partie de la responsabilité incombe à la famille mais aussi à l'école. Les mutations profondes qu'ont subies les relations entre les parents et les enfants au sein de la famille ont provoqué un nouveau mode d'éducation qui donne de moins en moins d'importance aux valeurs et aux mœurs. Désormais ce sont les médias qui construisent de nouveaux modèles de personnalités chez les jeunes. Et ils ne véhiculent pas souvent les bonnes recettes », poursuit l'étude en avertissant : « Remarquez le flux d'images qui positivent la violence. Elles risquent de façonner la personnalité de cette catégorie de récepteurs » D'ailleurs, il y a lieu de remarquer que le phénomène de violence a des origines complexes de par la multitude des facteurs qui y interviennent : «Les études ne cessent de démontrer que la violence chez les jeunes est en passe de devenir une caractéristique spécifique de la société tunisienne. Et ce qui préoccupe le plus, c'est que la majorité des jeunes incriminés ont un bon niveau scolaire. Lequel constat met en cause le rôle de l'institution pédagogique et appelle à la révision des mécanismes d'encadrement à la lumière de cette nouvelle réalité», poursuit l'étude qui précise que la violence, notamment en milieu scolaire, ne cesse de proliférer et de rendre la relation élève-élève et élève-enseignant de plus en plus tendue, ce qui devrait inciter tous les intervenants à conjuguer leurs efforts pour offrir des conditions meilleures aux enfants et aux adolescents.