Le Conseil de l'Ordre des Avocats est convoqué, pour ce matin, à 9h00 à une réunion extraordinaire pour débattre d'une affaire qui a pris de l'ampleur. Une affaire jusqu'ici inédite. Sa spécificité se présente sur deux volets. D'une part, la relation entre le corps des avocats et les médias et spécifiquement la télévision, et d'autre part, ce sont les avocats, par leur participation à une émission télévisée qui seront en quelque sorte « jugés » par leurs confrères. C'est l'émission « El Hak Maaq » qui est derrière cette convocation d'urgence de cette réunion. A rappeler que l'épisode de jeudi dernier a révélé le cas d'une citoyenne prétendant avoir été victime d'une escroquerie de la part d'un avocat qui lui aurait interdit d'encaisser des dommages et intérêts de l'ordre de 190 mille dinars, dont elle a eu droit à travers un jugement. Indépendamment des tenants et des aboutissants de cette « affaire », le fait qu'elle ait été révélée au grand public et dans une émission bien suivie par les téléspectateurs, n'a pas été apparemment bien apprécié par le Conseil de l'Ordre des Avocats qui a vivement réagi par un communiqué rendu public, vendredi. Dans ce communiqué, signé : le Bâtonnier Me Béchir Essid, le Conseil de l'Ordre des Avocats considère que ce genre d'émissions et notamment l'épisode du jeudi 12 mars courant, ont entamé la « réputation et l'honneur des avocats... et ont gravement enfreint la loi ». Il a mis également les avocats qui participent à l'animation de ces émissions (en tant que conseillers juridiques, NDLR), en demeure de ne plus y participer et de boycotter ce genre d'émissions », leur rappelant que cette participation constitue « un dépassement de la loi et des traditions de la déontologie de la profession... ». Le communiqué ajoute que la loi régissant la profession d'avocats a confié au Doyen des avocats, et à lui seul, le rôle de représenter les avocats et de parler en leur nom pour toute question se rapportant aux avocats et à l'Avocatie. Ainsi, on a tous les ingrédients d'un probable bras de fer inter-avocats et entre ce corps et les chaînes de télévision.
Vues de la télévision, ces émissions « accrochent » ! Si on se place du côté de la télévision et en prenant compte de la spécificité du secteur médiatique, en général, on peut comprendre que la diffusion de ce genre de programmes, peut être motivée, naturellement d'ailleurs, par la course à l'audimat et son corollaire de rentrées publicitaires. Le contexte concurrentiel actuel entre Tunisie-7 et Hannibal TV confirme cette tendance. Ces deux chaînes ne sont-elles pas en train de faire une compétition acharnée en diffusant des programmes presque semblables ? Soit, mais y a-t-il en même temps des limites à cet exercice de télé-réalité ? La télévision souhaite être utile au téléspectateur en dénonçant les abus, les malversations et autres dépassements source d'injustices. Le citoyen ne fait recours à ces émissions que pour faire entendre sa voix et mettre la pression sur la partie censée être responsable du préjudice qu'il a subi. Mais, sur ce point précis, ce genre de programmes ne se substitueraient-ils pas à la justice, seule habilitée par la loi à rendre justice ? Une limite de taille qui doit être respectée avec beaucoup de tact, sinon on risque de dépasser la ligne rouge.
N'est pas juge qui veut ! Du côté du Conseil de l'Ordre des Avocats, qui invoque en l'occurrence la nécessité de respecter la loi et notamment celle régissant la profession, plusieurs arguments ont été invoqués pour justifier une telle réaction virulente. Sans juger de la teneur de ces considérations, on peut comprendre que les avocats sont dans leur droit de se défendre, (eux qui défendent moralement les autres !) pour préserver leurs intérêts. Avec les temps qui courent et surtout l'augmentation du nombre des avocats, ce métier n'est plus de tout repos et n'est plus également en mesure de garantir facilement à l'avocat l'aisance financière d'antan. Préserver donc la dignité et la réputation de l'avocat devient une tâche de plus en plus importante pour le Conseil de l'Ordre. Et, d'ailleurs, tout un corps, ne saurait supporter la ou les fautes professionnelles de l'un de ses membres.
Des rebondissements en perspective On voit mal la réunion d'aujourd'hui s'achever sans prendre des décisions dans telle ou telle direction d'autant plus qu'il s'agit d'une réunion extraordinaire. Les avocats qui ont pris part à ces émissions seront-ils interdits ? Si tel sera le cas, que va-t-il rester de l'émission même si on exclut la partie « avis juridique » des avocats participants ? Car, personne, dans le secteur de la Justice, ne pouvait jouer ce rôle. Les juges, en tant que troisième pouvoir, sont naturellement dans l'impossibilité juridique de le faire. Et si le producteur de l'émission poursuit sa diffusion, le Conseil de l'Ordre portera-t-il l'affaire devant la justice pour demander son interdiction ? Autant de spéculations et de questions inévitables.
Et le plus important avant tout ça, c'est le téléspectateur qui, somme toute, n'est pour rien et ne demande que des programmes passionnants et utiles. Cela dit il faut faire la part des choses. Curieux que le Bâtonnier n'ait réagi que lorsqu'il s'est agi d'un avocat. Curieux encore qu'il sermonne les « défenseurs de la veuve et de l'orphelin » à l'émission et ne dit rien sur l'avocat en question. Défendre la profession est tout à son honneur, exiger que les avocats ne fassent plus de télé renvoie aux textes. Aujourd'hui, avocats, médecins et tous les autres métiers sont sollicités par les médias. Certes, dans les émissions de télé-réalité telle « Al Hak Maâk » (dont les droits ont été rachetés auprès de la TF1 et qui est une réplique de « Sans aucun doute », jadis animée par Julien Courbet), les avocats ne sauraient se substituer aux juges, ni en inquisiteurs et encore moins en justiciers. Ils doivent rester dans leur rôle de consultants. C'est ce qu'ils font. Si l'on arrondit les angles, les attributs du 3ème pouvoir et le Pouvoir juridictionnel resteront souverains et l'apanage des sphères de la Justice. Médiatiser les faits inhérents à un procès en cours serait pareillement nuisible. Mais si au nom de l'avocatie, du pouvoir juridictionnel, personne n'accepte d'instrumentaliser la justice, la télé-réalité est parfaitement dans son rôle lorsqu'elle révèle et informe. Car, la télévision informative relève du quatrième pouvoir et elle a obligation, droit et pouvoir d'informer au même titre que les journaux.