Il y a quelques mois, ne trouvant plus une pommade dermique qui contient 1% de cortisone chez mon pharmacien habituel, j'ai demandé à un ami qui partait en voyage de me l'acheter en France. C'est là une réaction classique du Tunisien moyen, hélas ! Mais là, surprise : les quelques pharmacies qu'il a visitées ont toutes refusé de lui délivrer ce médicament que j'achetais ici comme on achète une baguette de pain... Chez eux, il faut une ordonnance ! Et là, on se pose la question à propos de nos officines. Les responsables de nos pharmacies ne sont-ils pas trop compréhensifs en donnant des médicaments sans ordonnance ? Pourquoi a-t-on souvent le sentiment que d'aucuns d'entre eux ne s'intéressent qu'aux bénéfices qu'ils peuvent tirer de leur commerce, où la concurrence fait rage, avec la multiplication tentaculaire des pharmacies. Et c'est vrai qu'elles sont nombreuses, les pharmacies chez nous. On ne s'en plaindra certes pas, mais cette profusion ne risque-t-elle pas de créer quelques problèmes ? Au quartier Lafayette, il y en a une tous les deux cents mètres environ et l'un des préparateurs ne se gêne pas de critiquer cette profusion et de dénoncer les problèmes qu'elle pose : « si moi je refuse de donner tel médicament qui nécessite une ordonnance médicale, mon voisin ne va pas avoir les mêmes scrupules... » C'est clair ! Et puis il y a les parents proches, les amitiés ou l'appartenance à un clan, qui permettent d'obtenir à peu près ce que l'on veut auprès de certains pharmaciens : « moi je n'ai pas besoin d'aller chez le médecin, j'ai un copain du quartier qui me donne les médicaments et qui me conseille en plus », affirme un jeune homme qui a toujours profité de cette amitié douteuse, même le jour où il a attrapé une MST (maladie sexuellement transmissible). Un jeune homme rencontré dans une officine souligne « le pharmacien c'est une consultation gratuite... C'est la moitié d'un médecin et certains, qui ont des années d'expérience, sont plus compétents. » Une vision typiquement tunisienne et qui est dangereuse, car il y a une différence entre les deux professions. Et de commander un antibiotique pour une angine, qui lui est servi après une brève question. Pour un vieux médecin qui a fait ses études en France il y a quelques décennies, « cette attitude c'est tout simplement de l'inconscience, car seul un examen du patient et probablement des analyses permettent de diagnostiquer le type de MST et l'antibiotique correspondant. Or le pharmacien ne fait que poser des questions vagues et donner des médicaments moyennement performants et parfois contre-indiqués. »
Tableaux –A- et - C - Pour M. Chedly Fazaâ, secrétaire général des pharmaciens d'officine de Tunisie, il y a « l'automédication sauvage et celle qui est sage. Et la loi est claire dans ce domaine : un pharmacien ne doit jamais délivrer des médicaments qui sont dans les tableaux A et C sans prescription médicale. On peut à la limite renouveler un médicament si le paquet est terminé, mais rien de plus ». Nous lui exposons le cas d'une dame qui a pris des médicaments à base de cortisone et qui a vu son corps gonfler de manière excessive. Pour notre interlocuteur, c'est un cas typique pour bien comprendre l'automédication : « on ne doit pas manger de sel avec la cortisone, pas même un grain ! » Il dénonce également une tendance chez les citoyens tunisiens à trop consommer les antibiotiques « pour tout et n'importe quoi » , car ils croient que c'est rapide et efficace, alors que des médicaments moins agressifs pour le corps pourraient faire l'affaire. Une tendance confirmée par nombre de pharmaciens qui se trouvent obligés d'en vendre, « tout en prévenant nos clients des risques de résistances aux antibiotiques qu'ils risquent de développer » , selon un pharmacien de la vieille école.
Trop de pharmacies ? Quant au nombre grandissant des pharmacies, M. Chedly Fazaâ rappelle qu'elles obéissent à la règle du « numerus clausus » qui est variable selon les zones : « la loi dit qu'il faut en moyenne une officine pour 3600 habitants dans les grandes villes où la densité est grande et le pouvoir d'achat important et cela peut aller jusqu'à une pour 32 000 habitants dans les zones rurales. En outre, la loi n'autorise pas la proximité de deux pharmacies à moins de deux cents mètres. » Mais même dans une grande ville, il n'est pas toujours facile de joindre les deux bouts quand on est un jeune pharmacien qui vient de s'installer. Il faut faire une étude de marché et choisir un emplacement assez passant et bien visible. On nous a, en effet, rapporté le cas d'une pharmacienne qui n'a pas bien fait ses calculs et qui se retrouve endettée, d'où la tentation de vendre des médicaments sans beaucoup de précautions. Le secrétaire général des pharmaciens estime que « les pharmaciens qui se permettent de donner des antibiotiques sans ordonnance sont condamnables. Mais le citoyen doit apprendre à ne pas jouer avec sa santé... » Car les conseils des pharmaciens ne sont pas toujours suffisants et la visite chez le médecin s'impose souvent puisque les médicaments sont parfois donnés sans en connaître toutes les contre-indications ou le dosage précis. Mais il semble que cette grande braderie de médicaments verra bientôt une fin heureuse, puisque « la CNAM va rembourser les frais du médecin et des médicaments et que le citoyen n'aura à payer qu'un petit quota », conclut M. Chedly Fazaâ. Et il est vrai que cette solution permettra à un grand nombre de citoyens de mieux gérer leurs dépenses de santé et d'être encouragés à aller plus souvent chez le médecin, sans se contenter du seul avis du pharmacien. Sa santé et celle de sa famille n'en sera que meilleure...