A chaque époque sa mode, et à chaque saison sa passion. En cette fin d'année scolaire, nous vivons comme à l'accoutumée le temps des cours particuliers, tout le monde en parle, hommes et femmes, responsables et employés, grands et petits, tout le monde en est concerné, puisque le fameux examen du baccalauréat est pour très bientôt. Cela ne veut pas dire qu'au milieu de l'année il n'y en a pas et qu'on n'en parle pas, on en fait même pendant l'été, à-dire sur toute l'année. La particularité de cette saison c'est qu'on s'intéresse plus aux cours particuliers qu'au cours de l'année, ils deviennent un vrai marché. Ce sujet anime toutes les discussions, au foyer, au café, à la radio ou à la télévision. Dans ces médias, il est le plus convoité, il ne se passe pas une semaine voire un jour sans qu'on en fasse un discours. Et, le plus souvent, ces débats tournent au procès où on incrimine les enseignants et où on fait l'avocat des enseignés. La première question qui effleure notre esprit est la suivante : les premiers sont-ils aussi coupables ? Et ces derniers sont-ils aussi innocents qu'on ne le prétend ? On parle souvent des éducateurs et des apprenants et on oublie les intermédiaires, l'école et les parents. Eux aussi sont irréprochables comme leurs protégés ? Ce n'est pas si évident. Vous voyez que la question n'est pas simple comme on pourrait le penser, elle est très compliquée, puisqu'il y a plusieurs parties qui y sont impliquées.
A qui la faute ? Ces cours particuliers sont en passe de devenir généraux tellement ils sont sollicités, ce sont presque tous les élèves qui en suivent. Le grand allèchement pour ces cours en fait de sérieux rivaux pour l'école. Ils deviennent comme les commerces se trouvant dans la plupart des rues, leur présence n'est plus timide ou camouflée comme il y a quelque temps où on se contentait d'une petite annonce collée aux vitrines ou sur les murs pour donner des cours à domicile. Aujourd'hui, ces activités ne sont plus cachées, elles sont assurées dans des locaux plus visibles qu'une épicerie grâce aux enseignes lumineuses, aux panneaux et aux plans indicateurs dans les endroits labyrinthiques. Ce changement de paysage à première vue curieux, d'autant plus que la loi autorisant ce commerce ne date pas d'aujourd'hui, est un indice de l'accroissement considérable de la demande. Ils fonctionnent comme des sociétés puisque certains enseignants louent des villas pour accueillir le maximum de demandeurs possible, ce qui est contraire à cette loi qui limite le nombre de groupes à trois comprenant quatre élèves chacun, Ces établissements prennent l'allure des écoles privées. Cette réglementation est bafouée dans plusieurs cas où le nombre de ces derniers avoisine celui qu'on trouve dans les salles de classe. Donc, on peut dire que les cours particuliers par certains de leurs aspects concurrencent sérieusement l'école, ils lui empruntent le rôle et même le système d'organisation. Cette nouvelle réalité en présage une autre encore plus compliquée. On risque par exemple de voir naître, comme en France, des organismes d'arnaqueurs engageant des gens sans diplômes. Mais comme on n'en est pas encore là, contentons-nous pour l'instant d'essayer de comprendre ce phénomène des cours particuliers. Jadis, il y en avait seulement dans quelques matières, en mathématiques et en physique et non pas comme aujourd'hui dans toutes les disciplines y compris l'éducation physique, et le nombre des enseignants assurant ces cours ainsi que celui des élèves s'y intéressant étaient très limités. Les apprenants ne ressentaient pas le besoin de recourir à des séances supplémentaires pour soutenir les cours de classe et pourtant le niveau était beaucoup meilleur que celui d'aujourd'hui. On ne dit pas cela par nostalgie, mais c'est bien la réalité qui l'atteste, les compétences aussi bien linguistiques que scientifiques des générations actuelles sont très en-deçà de celles de leurs devancières. Sur le plan intellectuel, il vaut mieux ne pas en parler vu la médiocrité qui règne en maître absolu, à cette époque de la modernité, la culture n'a plus de place, elle est tout à fait récusée. Donc visiblement, les cours particuliers n'améliorent pas la situation, loin s'en faut, l'importance accrue dont ils bénéficient et la position prestigieuse qu'ils occupent au sein de la société ne reflètent pas une réussite. Alors qu'est-ce qui justifie ce statut privilégié en dépit de ce ratage ? Pourquoi manifeste-t-on toujours tant d'engouement pour ces cours bien que les résultats escomptés ne soient pas satisfaisants, bien qu'ils aient échoué dans leur mission ? Qui en est responsable ? L'école ? Le système éducatif ? Les parents ? Les élèves ? La société ? C'est pour répondre à toutes ces questions et participer à éclaircir la situation en essayant d'appréhender ce phénomène social qu'on s'est tourné vers des enseignants chevronnés ayant vécu l'ancienne école et celle d'aujourd'hui, leur riche expérience est à même de leur permettre d'avoir une vue d'ensemble élargie et d'appréhender donc la question sous tous ses aspects.
La mauvaise conception et la complicité des parents Salah, professeur de mathématiques, ayant une carrière de vingt neuf ans s'explique sur les raisons de cette situation. « A mon avis, les causes sont multiples. Il y a tout d'abord les programmes trop chargés et le nombre d'heures trop insuffisant. Cette disproportion entre le contenu et l'espace temps imparti constitue un vrai handicap pour les enseignants, ils éprouvent des difficultés pour pouvoir réaliser l'ensemble du programme dont ils sont chargés, c'est pourquoi vous les voyez organiser des cours de remplacement pendant les jours fériés. L'autre grande raison qui pousse l'élève à recourir au cours particulier ce sont les classes trop chargées. Dans cette multitude, il ne peut pas bien comprendre la leçon prodiguée par l'enseignant qui est dans l'impossibilité de s'occuper de chacun de ses élèves à part, le temps ne lui permet même pas de contrôler le travail qu'il leur demande de faire à domicile. Donc dans ces conditions, le cours particulier se présente comme une solution pour remédier aux lacunes de l'école. Toutefois, le recours à ces cours ne se pose pas seulement aux élèves qui ont des difficultés, les brillants aussi font de même, mais leur mobile comme vous pouvez le comprendre n'est pas celui des premiers : ils y recourent parce qu'ils visent l'excellence. Leur projet consiste à réaliser un très bon score pour pouvoir intégrer les grandes écoles comme l'IPEST ou bénéficier d'une bourse de coopération pour pouvoir faire des études à l'étranger. En fait, ce sont leurs parents qui les y poussent, et croyez-moi, il y en a certains parmi eux qui assurent à leurs enfants plus d'un cours particulier dans chaque matière surtout avec l'approche de l'épreuve du bac, la motivation de quelques uns n'a rien à voir avec la passion pour le savoir, elle trouve son explication dans le prestige social. Dans certains cas, il y a une compétition non déclarée entre les parents par l'intermédiaire de leurs enfants qu'ils orientent vers les sections et les filières de leur choix à eux qui à leurs yeux les font accéder à des statuts prestigieux. »
Le problème se trouve à la base Nihed, une enseignante de physique qui a presque la même carrière que son collègue ajoute d'autres raisons expliquant, selon elle, l'émergence et le développement de ce phénomène social que sont les cours particuliers. « Je pense que le problème se trouve à la base, à l'école primaire où vous n'y trouvez que quelques instituteurs compétents, les rescapés de l'Ecole Normale, mais ces normaliens sont sur le point de partir en retraite, la plupart des autres ne sont spécialisés en rien, et je veux parler ici des bacheliers qui n'ont reçu aucune formation, ils enseignent avec le diplôme du bac. Donc, ces cours particuliers ne sont pas faits pour remédier aux lacunes des élèves, mais plutôt à celles de certains instituteurs. Ces défectuosités ont obligé les parents à assister leurs protégés en les aidant à faire leurs exercices, un travail qui vient seconder le cours de classe et le cours particulier. Le résultat d'une telle situation, ce sont des élèves qui ne comptent plus sur eux-mêmes pour comprendre, ils ont toujours besoin de quelqu'un pour les assister. Au niveau du secondaire, cette paresse intellectuelle qu'ils ont apprise depuis le primaire est encore aggravée par des programmes dont les contenus sont principalement constitués de connaissances et où on ne trouve pas de méthodologie, ce qui veut dire que l'on mise sur la quantité, sur le bourrage du crâne plutôt que sur la qualité. Ces programmes ne permettent pas aux élèves de raisonner, d'apprendre des méthodes d'analyse, ils apprennent par cœur même les solutions, à cause de ce système, ils ne sont plus capables de comprendre tout seuls un cours se trouvant dans le manuel scolaire. D'ailleurs, certains professeurs des cours particuliers se contentent de les leur expliquer, ils leur expliquent aussi le corrigé des exercices des parascolaires. Cet esprit qu'ils ont participé à développer chez eux, cette paresse qui a cultivé en eux l'attachement au résultat immédiat, ce comportement des élèves a poussé ces charlatans à inventer une nouvelle supercherie baptisée « exercices types » qui, prétendent-ils, contiennent toutes les problématiques, et qu'il suffit de les apprendre par cœur pour garantir un bon résultat. Bref, l'évaluation n'est plus axée sur le raisonnement mais sur les connaissances. Et il y a quelque chose qu'il faut mettre au clair c'est que tous ceux qui assurent les cours particuliers ne sont pas que des enseignants, il y a aussi des étudiants et même des fonctionnaires. Pour conclure, je trouve que les élèves en difficulté doivent être pris en charge par l'Etat à l'image de ce qui se passe dans les pays scandinaves où on leur organise des cours de soutien assurés par d'autres professeurs, autres que les leurs. »