*Le Centre de la Rabta, premier dans le genre en Afrique, opère une prise en charge globale. Reconnaître la douleur, l'affronter et soulager les patients est motivé par le sens de l'humain. Mais cela procède aussi d'une démarche rigoureusement scientifique et clinique. Cette phrase de Nietzsche résume assez bien le défi relevé par la médecine moderne qui ne se contente pas désormais de traiter les maladies et de lutter contre la mort mais aussi d'améliorer la qualité de vie des patients en reconnaissant leur douleur et en la traitant autant que faire se peut. En Tunisie, par exemple, une boîte de médicaments sur quatre est prescrite pour le traitement de la douleur ou de la fièvre.
Sensation et émotion à la fois La douleur s'exprime de différentes façons : verbalement le plus souvent et/ou para verbalement (mimiques, gestuelle, comportement et posture...). Mais même si ses manifestations sont connues de tous, la douleur est souvent restée une énigme, surtout lorsque sa cause physiologique a été traitée ou qu'elle est restée rebelle au diagnostic médical. Car la douleur est différente selon qu'elle est dite " aiguë " ou " chronique ". Lorsqu'elle est aiguë, elle est protectrice et utile. Son rôle est de signaler les anomalies fonctionnelles et les atteintes accidentelles que subit notre organisme et qui mettent son intégrité en péril. Bergson en parle comme d'une " sentinelle rapprochée ". Mais lorsqu'elle est chronique, elle n'a plus cette fonction bienveillante et elle acquiert une dimension maléfique. Elle devient handicapante, inutile et destructrice, synonyme de maladie. Elle est alors à prendre en charge et à " soigner ".
Soigner la douleur : objectif réel et reconnu La médecine tunisienne s'est engagée dans la prise en charge de la douleur depuis 1996 avec la création du Centre de Traitement de la Douleur de la Rabta, premier dans le genre en Afrique. Fruit d'une collaboration entre le ministère de la Santé publique et les laboratoires UPSA, il est conçu sur le modèle des " pain center " européens. L'activité du centre est hospitalo-universitaire. Il permet un abord global et multidisciplinaire des patients douloureux chroniques. Il assure aussi une formation médicale et paramédicale continue ainsi que des travaux de recherche sur la douleur. Le centre de traitement de la douleur de la Rabta a également mis en place le " Club Douleur Afrique " qui a pour vocation d'améliorer la prise en charge de la douleur dans les pays du continent. Il fournit un programme de formation médicale continue fondé sur des modules d'enseignement et des rencontres d'experts venus des pays africains pour partager leur savoir, délivrer des traitements et rendre possible une meilleure connaissance des diagnostics et des traitements. Un comité scientifique de spécialistes a été constitué en Tunisie pour former les médecins généralistes à travers tout le pays. Ils sont plus de 300 à suivre cette formation au cours de cette année. Commencer par reconnaître la douleur Selon sa directrice, le Professeur Monia Haddad, les consultations pratiquées au Centre se font sur la base du dossier clinique du patient et tiennent compte de l'histoire et de l'évolution de sa maladie depuis le diagnostic jusqu'aux procédures thérapeutiques suivies. 60% des admissions viennent pour des douleurs rhumatologiques et neurologiques et 40% se divisent également entre douleurs psychogènes et douleurs cancéreuses. Dr Haddad explique que la prise en charge des patients commence par l'écoute : " cette première étape est d'une importance psychologique et thérapeutique capitale. Il s'agit en effet de rassurer la personne et de la mettre en confiance en reconnaissant sa douleur et en la prenant au sérieux, ce que ne font malheureusement pas toujours certains médecins traitants qui pensent que leur rôle s'arrête, aux actes thérapeutiques primaires ", précise-t-elle. Un diagnostic physio-pathologique intervient par la suite dans le but d'identifier le type et le stade de la douleur, ce qui permettra dans un troisième temps de l'évaluer avant de mettre en route finalement un traitement spécifique médicamenteux ou autre (physiothérapie, neurostimulation, relaxation, psychothérapie d'accompagnement...). Le traitement médicamenteux de la douleur Le traitement médicamenteux de la douleur peut aller, selon le palier de la douleur, de la prescription d'antalgiques périphériques jusqu'à la prescription d'antalgiques morphiniques, en passant par les antalgiques centraux faibles. Ces trois paliers ont été fixés par l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Parmi les perspectives ambitionnées dans le domaine de la prise en charge de la douleur, la mise en place d'une législation mieux adaptée aux besoins des patients notamment en matière de prescription d'antalgiques morphiniques semble selon Mme Monia Hadded avoir marqué un point. En effet, selon Mme Hadded, une nouvelle loi vient d'être adoptée pour que les prescriptions de morphines ne soient plus limitées à 7 jours et qu'elles soient étendues à 28 jours, comme c'est le cas en France. Cela permettra de limiter les déplacements fatigants et inutiles de patients cancéreux en stade avancé de la maladie et de la douleur. Par ailleurs, le traitement n'est plus tenu au respect de l'ordre des paliers de prescription des antalgiques tels qu'ils ont été fixés par l'OMS ; on pourra désormais commencer directement par le palier supérieur, s'il y a besoin de le faire et selon l'intensité de la douleur diagnostiquée. Certes, ce sont là des avancées réelles dans le domaine mais beaucoup d'effort reste à faire encore, notamment au niveau de l'intégration de cette discipline dans le cursus de formation médicale initiale. Il faudrait également qu'elle touche d'autres partenaires de la santé comme les pharmaciens qui sont à leur tour de grands prescripteurs de médicaments, du moins dans notre pays.