La recrudescence de certaines pathologies de gravité notoire est fort préoccupante surtout pour les malades ; mais également et en deuxième lieu pour le corps médical souvent désarmé, assistant impuissant à leur implacable évolution ; et pour finir pour la société appelée à en payer le prix fort ( frais pharmaceutiques exorbitants, hospitalisation, absentéisme, morbidité) .Voilà des atteintes pratiquement rarissimes il y a quelques décades, et qui du jour au lendemain se propulsent au devant de la scène, accaparant tristement les feux de la rampe par les drames qu'elles génèrent à plus ou moins longue échéance. L'infarctus du myocarde (IDM), et non « infractus » comme communément et à tort prononcé même par des professionnels de la santé, fait partie de ce macabre lot de maladies. Pis encore, son âge d'apparition habituellement entre les 50 et 60 ans de préférence chez l'homme, subit une mutation inquiétante, alarmante : la trentaine ! Des jeunes appartenant désormais aux deux sexes, d'à peine 30 printemps, encore juste à l'orée d'une prometteuse et non moins brillante carrière en souffrent malheureusement et ce devant de revoir leurs rêves et ambitions juvéniles à la baisse. Comment définit-on ce fléau, quels en sont les facteurs favorisants, les signes cliniques et les risques en découlant, comment en réchapper, pourquoi ce réajustement vers le bas de ses candidats, de ses victimes de prédilection volet âge ? Toutes ces questions et bien d'autres nous les avons posées au Docteur Souha Mokrani Haj Ali, cardiologue des hôpitaux de la Capitale.
Le Temps : pour commencer, si vous nous définissiez dans les grandes lignes cette effarante maladie ? Dr Souha Mokrani Haj Ali : C'est en quelque sorte la nécrose d'une parcelle plus ou moins étendue du tissu ou muscle cardiaque (myocarde) suite à une oblitération totale ou partielle d'une ou de plusieurs artères l'irrigant.
.Vous nous excuseriez notre candeur : le cœur, que nous sachions est un organe qui propulse toute la masse circulante de sang vers le reste de l'organisme ; comment se pourrait-il alors dans ces conditions que cette pompe brassant la totalité de ce liquide vital arrive justement à en être privée, démunie ? - Effectivement, le myocarde ne prélève pas et ne se nourrit pas directement du sang circulant dans ses cavités. Une fois ayant quitté le cœur par l'aorte vers les autres organes, le sang emprunte des vaisseaux très fins en réseau (les coronaires) pour revenir assurer l'irrigation du tissu cardiaque. La sténose totale ou incomplète d'une coronaire occasionne la souffrance voire la mort en aval de la parcelle cardiaque tributaire de cette minuscule artère.
.Quand se doit-on d'évoquer ce péril ; les douleurs qu'il occasionne sont elles spécifiques, à caractère particulier ; comment les différencier des banales algies rhumatismales, respiratoires, cutanées voire psychosomatiques? - Le tableau clinique de l'IDM est dominée classiquement par une douleur typique : spontanée, souvent nocturne, constrictive serrant la poitrine comme dans un étau, de siège rétro sternal mais diffusant rapidement aux régions mammaires, aux épaules, aux membres supérieurs et à la mâchoire inférieure. Douleurs angoissantes et prolongées, donnant l'impression au sujet d'une mort imminente. Brûlures, nausées vomissements, pâleur, sueurs profuses avec refroidissement des extrémités peuvent compléter le tableau déjà fort péjoratif. Il va sans dire que l'IDM peut se manifester sous certaines formes trompeuses : digestives avec des coliques abdominales évocatrices d'une banale indigestion, d'une atteinte de la vésicule biliaire, du pancréas, voire d'un ulcère perforé ! Formes neurologiques (hémiplégie chez les personnes âgées), formes latentes dépourvues du moindre signe clinique et qui se manifestent généralement chez les malades mentaux, les opérés maintenus sous sédatifs et éventuellement les diabétiques.
Cette atteinte serait-elle tributaire à certains facteurs de risque, qui précipiteraient son apparition chez les uns et pas chez les autres ? - Le nouveau mode de vie qui nous est imposé intervient dans une large mesure dans l'effroyable oserais-je dire propagation de la maladie ; l'Hypertension artérielle, le Diabète, l'Obésité, le dysfonctionnement du métabolisme lipidique (élévation notamment du taux des triglycérides et du cholestérol dans le sang), le Stress, l'énervement, le tabac, la sédentarité sont considérés parmi les facteurs les plus incriminés à générer cette grave pathologie.
Si vous seriez un peu plus explicite ? - C'est très simple, les coronaires sont des vaisseaux très fins et ils s'oblitèrent, se bouchent facilement par le dépôt à leur niveau de matières jaunâtres, molles et grumeleuses ressemblant à de la bouillie (plaques d'athérome) conduisant à la redoutable maladie des artères : l'Athérosclérose, la principale pourvoyeuse en IDM. Nous ne bougeons pratiquement plus, la sédentarité est quasi générale ; à titre d'exemple, pour rallier l'épicier au coin de la rue, on emprunte la voiture, ajoutée aux régimes alimentaires auxquels nous sommes soumis : riches en sucreries et en matières grasses et vous avez le terrain propice...
Cela expliquerait selon vous l'âge précoce des atteintes et le sexe féminin qui se trouve malheureusement impliqué dans l'affaire ? - En effet, la plupart de nos jeunes filles ou garçons ne sont pas hélas sur le droit chemin, question hygiène de vie ! Ils fument énormément. Une parenthèse si vous permettez, chichas, cigarettes, cigares ou pipes, c'est strictement du pareil au même ; pour ceux qui se targuent de ne point inhaler la fumée « me ykhznouch » l'argument ne tient pas la route car l'absorption se fait quand même par le biais des capillaires sublinguaux (situés sous la langue). S'il est communément admis que l'alcool se transforme au niveau du foie en substances apparentées au sucre et se déposant fatalement dans le lit des vaisseaux, réduisant dangereusement leur lumière, et de facto le débit sanguin y transitant, on comprend alors l'impact fâcheux et l'implication directe du tabac, de l'alcool, de l'embonpoint dans la prolifération des IDM même chez les jeunes, abstraction faite du sexe. Les femmes jusque là relativement épargnées (une femme pour six hommes atteints) gagnent dangereusement du terrain...
Quelques conseils pour nous prémunir contre ce fléau ? - Commencer par bannir tous les facteurs favorisants : tabac, substances sucrées et grasses ; lutter contre le grignotage, la pléthore à table générateurs de l'obésité ; surveiller de quoi s'empiffrent nos enfants ; rompre avec la sédentarité, se libérer du joug de la voiture, pratiquer régulièrement du sport ou à défaut s'adonner à la marche, un excellent exercice pour les vaisseaux et le cœur. Décompresser, inutile de vivre constamment sous haute tension, le stress ne mène à rien, bien au contraire ! La vie est simple, vivons la sainement.