L'utilisation des TIC dans l'enseignement est en croissance constante dans le monde. Le recours aux TIC est désormais considéré comme une nécessité et une opportunité, de par leur impact et leur rôle dans l'apprentissage, l'exploration et la communication. Lors des réunions organisées par les inspecteurs de l'éducation en début d'année scolaire, les discussions tournent autour de l'utilisation des TIC et de leur adaptation en tant que nouveaux outils pédagogiques dans les cours des différentes disciplines. Toutes les initiatives personnelles ou communes dans ce domaine sont donc à encourager. Aussi trouve-t-on partout dans notre pays des enseignants pionniers, férus d'informatique, qui cherchent à innover les méthodes et les approches dans leurs cours, souvent contre vents et marées et avec les moyens du bord, et beaucoup ont réussi à offrir à leurs établissements respectifs les prémices d'une expérience fort prometteuse. Si la majorité des professeurs de langues, de sciences ou de technologie approuvent sans aucune réserve le recours aux TIC, il n'en est pas de même pour certains professeurs de philosophie qui, tout en considérant que les TIC offrent de nouveaux outils pédagogiques, manifestent une certaine réticence quant à leur utilisation, prétendant que le recours aux TIC modifierait la relation pédagogique jusqu'à imposer une remise en cause de l'activité habituelle du professeur en classe de philo, basée essentiellement sur le raisonnement et le dialogue. Pourtant, pas mal de profs de philo accueillent ces nouveaux outils avec enthousiasme et se mettent déjà à l'œuvre. Nous avons eu l'occasion de visiter l'un des lycées du Gouvernorat de Ben Arous, le Lycée d'Hammam-Lif, où nous avons découvert une toute première expérience novatrice en matière d'utilisation des TIC dans la philosophie. Fethi Joou, professeur de philo, est le premier à vouloir introduire de nouvelles pratiques pédagogiques et les outils didactiques fournis par les TIC. « À l'heure du chat, des SMS, des blogs, de Facebook, une mise à jour de notre enseignement est nécessaire, nous-a-t-il déclaré, de plus, pourquoi ne pas profiter de cette nouvelle vague d'échange pour revitaliser ce qui constitue peut-être la plus vieille pratique philosophique : le dialogue ? » Or, est-il suffisant qu'un professeur soit formé en informatique pour utiliser les TIC en classe ? Cela ne suppose-t-il pas que le lycée soit également bien équipé en matériels informatiques nécessaires ? Il n'est pas envisageable de travailler convenablement avec un diaporama si on n'a pas une vidéo projecteur installée dans sa salle de classe, s'il y a seulement une classe avec vidéo projecteur dans l'établissement et qu'il faut la réserver longtemps à l'avance. Il ne s'agit pas d'un ordinateur pour chaque élève ni du tableau interactif qui font encore défaut dans nos établissements. Mais dans l'initiative de notre professeur, c'est le principe qui semble fort intéressant et c'est la volonté qui compte le plus. En quoi consiste donc cette nouvelle approche ? Comment s'en sert-on en classe de philosophie ? Quel impact cette nouvelle méthode a-t-elle sur les apprenants ? Quels sont les problèmes rencontrés en classe ? Dans quelle mesure la mise en oeuvre de ces nouveaux moyens d'enseigner la philo peut-elle aller jusqu'à modifier et enrichir le contenu même de l'enseignement de cette matière ? Nous avons rencontré le professeur en question et ses élèves qui nous ont parlé de cette expérience. Hechmi KHALLADI ---------------------------------- L'avis du professeur Fethi Joou : « L'image exerce sur les élèves un pouvoir d'attraction, voire de fascination » Le Temps : Ce qui caractérise votre expérience, c'est l'usage de la vidéo pour enseigner la philosophie. Comment procédez-vous ? Fethi Joou : En fait, il s'agit de recours à l'image et à l'audiovisuel à travers toutes les étapes du cours : des extraits cinématographiques et d'émissions télévisuelles servent souvent de supports pédagogiques à mon cours. Il y a plusieurs justifications à cet usage. A part le plaisir personnel que j'y trouve, il y a l'intérêt d'exercer la réflexion philosophique sur des objets familiers des élèves (films, documentaires, photos...) qui sont en rapport avec le centre d'intérêt et du thème à étudier, d'autant plus que l'image exerce sur les élèves un pouvoir d'attraction, voire de fascination, et qu'elle permet de les motiver et de les accrocher. L'usage de diaporamas numériques (powerpoints) a été bien apprécié des élèves qui considèrent cette méthode plus pratique que l'usage traditionnel et monotone du tableau. Toutes les étapes du cours sont respectées : les mêmes supports, les mêmes problématiques et la même démarche présentés dans le manuel de l'élève sont exploités numériquement. Les élèves sont totalement impliqués dans le cours : ils observent, réfléchissent, raisonnent, analysent, commentent et tirent des conclusions. La méthode est à la fois simple, ludique, dynamique et motivante.
Apparemment, cette expérience n'exige pas beaucoup de matériels informatiques ni d'un espace bien approprié. De quoi avez-vous besoin pour faire votre cours ? On a besoin d'un ordinateur et d'une vidéo projecteur et le mur de la salle servira d'écran. On n'a même pas besoin de rideaux pour les fenêtres, seulement pour profiter d'une bonne vision, les pupitres sont disposés en U de sorte que tous les élèves se regardent de face, ce qui est très important pour la discussion et l'échange d'idées. Mais encore faut-il que le prof soit formé en informatique et sache exploiter les différentes applications et programmes (Word, Excel, power point...). Cependant, la préparation des cours et leur conception numérique exigent un travail long et minutieux sur Internet où il y a toujours de nouveaux outils à consulter pour être à jour.
Certains professeurs de philosophie rejettent les TICE. Comment expliquez-vous ce rejet qui est plus fort, semble-t-il, que dans d'autres disciplines (les sciences, les langues...) ? La philosophie est une discipline qui évolue avec le temps. L'heure n'est plus à la méditation et à la réflexion sur des thèmes philosophiques classiques ; les programmes de philo s'apparentent aujourd'hui au réel, au vécu et au quotidien des élèves, lesquels sont appelés à réfléchir sur leur réalité et sur les problématiques de leur temps. De là, l'enseignement de la philo a besoin d'introduire de nouvelles méthodes et de nouveaux outils fournis par le boom informatique. Les élèves sont très fascinés par l'image et l'audio-visuel, pourquoi ne pas en profiter pour les amener à s'intéresser davantage au cours de philo ? Quant au rejet des TICE par certains profs de philo, je pense que les débuts sont toujours difficiles et que toute nouveauté peut causer une certaine appréhension pour les uns et susciter de l'enthousiasme pour les autres. Souvenez-vous, en 1976, lorsque le ministère a arabisé la philo, il y avait eu ce genre de divergences entre les profs ; ces derniers étaient appelés à se recycler pour pouvoir enseigner la philo en arabe. Aujourd'hui, il se passe la même chose : il y a une nouvelle langue qui s'impose dans l'enseignement, c'est la langue numérique. Et il est grand temps pour tous les collègues de s'y mettre. Il faudrait suivre l'évolution des choses !
L'avis des élèves : **Dorra R. : «Cette méthode est plus pratique et plus motivante» « Je ne vois aucun inconvénient dans cette méthode. Au contraire, c'est plus pratique, plus reposant et plus motivant pour les élèves. C'est beaucoup mieux que l'utilisation du tableau et de la craie. De plus, il y a un gain de temps important et les choses deviennent plus claires sur l'écran ; et on peut procéder à des va-et-vient pour mieux assimiler une notion, ou recopier une phrase. Il suffit d'un clic pour revoir ou revenir à une étape du cours. Les extraits des films et des documentaires nous facilitent beaucoup la compréhension. D'ailleurs, l'élève s'y plait puisqu'il est habitué au monde numérique ».
**Majdi T. : « C'est une méthode très efficace » « C'est une méthode très efficace. La démarche est devenue plus claire pour moi. Le cours est bien présenté, bien organisé et les étapes sont plus claires que celles du manuel. Les films nous aident à mieux comprendre le contenu du cours ».
**Bassem N. : « La séance de philo est devenue plus gaie » « Je n'ai rien à ajouter sauf que la séance de philo est devenue plus gaie, plus attractive grâce à cette nouvelle expérience que tous mes camarades ont bien appréciée. Nous avons dit adieu au tableau, à la craie et à la poussière. Le cours devient plus accessible, et plus intéressant qu'avant ».