L'évaluation par l'enfant de ses possibilités réelles sur le plan physique et psychologique lui permettra d'adapter ses désirs et ses ambitions à la réalité et de se construire une indépendance propre telle qu'elle a été soutenue et encouragée par ses parents tout au long de son développement. Malheureusement, il arrive souvent que des parents veuillent limiter, voire interdire, certaines activités de jeu chez leur enfant pour des raisons diverses notamment celles du risque de se salir. Dans l'imaginaire de ces parents, la saleté est synonyme de mal et de maladies et suscite parfois chez eux une angoisse et un dégoût qui peut aller jusqu'à l'obsession. Ils ne se rendent pas compte, qu'élever un enfant dans un univers aseptisé est au contraire fragilisant pour lui. Que l'on se réfère au point de vue strictement médical qui souligne la nécessité de stimuler les défenses immunitaires de l'organisme ou du point de vue psychologique qui voit dans l'exigence de propreté le signe d'une angoisse des parents projetée sur l'enfant, le fait qu'un enfant se salisse ne peut apparaître en soi négatif ni même préjudiciable à sa santé. Il est intéressant de constater ici la dimension morale qui connote l'idée de saleté et de propreté et qui pose que tout ce qui est sale est mal et à fortiori que tout ce qui est propre est beau.
Dans les sociétés musulmanes notamment, la notion de propreté est intimement liée à celle de la foi et du rite des ablutions ce qui tend à renforcer la valorisation éthique de celle-ci. La modernisation a par ailleurs renforcé, pour les mères qui travaillent, l'exigence culturelle préexistante d'une acquisition rapide pour leur enfant de la propreté. Or, les découvertes de la psychanalyse ont montré notamment que « le dressage » à la propreté des enfants, lorsqu'il se fait trop tôt, engendre des troubles à l'âge adulte, en particulier des troubles du caractère ou de vraies névroses obsessionnelles. En effet, le système nerveux de l'être humain n'est pas complet à la naissance. Il continue à se développer pour devenir mature aux alentours de dix-huit mois, jusqu'à ce que l'enfant ait pu acquérir la maîtrise de ses muscles volontaires en particulier sphinctériens.
Education coercitive Anticiper, par une éducation coercitive, la maîtrise prématurée de la propreté du petit enfant c'est déjà inhiber l'enfant dans sa curiosité ultérieure à découvrir et à explorer le monde qui l'entoure. En effet, un modèle éducationnel qui valorise la maîtrise du corps de l'enfant va entraver chez lui l'acquisition de son schéma corporel et être à l'origine d'une inhibition qui s'exprimera par une timidité excessive et des difficultés à la socialisation, à la convivialité et au partage avec d'autres enfants. Interdire à un enfant de se salir c'est tout simplement l'empêcher de s'exprimer à travers le jeu qui est le mode d'expression privilégiée de l'enfant mais également à travers l'échange langagier. Lui interdire notamment de jouer avec l'eau, le sable, la terre, l'aquarelle, lui interdire de faire du désordre ou de faire du bruit en jouant, c'est lui interdire de prendre possession de ses possibilités corporelles, physiques et psychiques en inhibant ses aptitudes motrices et créatrices associées au plaisir de partager avec les autres. En effet, il est étonnant de constater l'angoisse des parents face à un enfant qui revient tout barbouillé ou sali par l'usage de matériaux de jeu pourtant sans danger pour lui et qui réagissent par des menaces de fessées ou de punition comme si l'enfant avait transgressé des interdits dont l'absurdité n'a d'égale que le sadisme des parents à vouloir s'emparer de son corps et de ses mouvements.
En fait, l'enfant veut imiter l'adulte et c'est même un devoir pour les parents d'aider l'enfant à devenir habile de ses mains vis-à-vis du monde extérieur, à prendre confiance en lui, à lui faire découvrir progressivement qu'il est capable d'autonomie et de savoir faire comme eux. Il suffit, simplement, de lui expliquer par la parole la façon dont il doit s'y prendre pour parvenir à faire les choses pour se rendre compte qu'il est tout attentif aux conseils qui lui sont prodigués. Et même s'il se montre maladroit à ses débuts ou s'il n'y parvient pas, il est nécessaire de le soutenir et de l'encourager à recommencer et non de se substituer à lui pour ne pas déranger un certain ordre arbitraire de propreté et de rangement. Combien de mères vont-elles refuser à leur petit l'usage de la cuillère pour manger afin qu'il ne salisse pas ses vêtements et nous les entendrons dire alors: « je te l'avais bien dit, tu es trop petit ! laisses-moi le faire pour toi » !
Combien de mères vont-elles s'opposer à la participation de leur enfant à leurs activités ménagères afin que celui-ci ne vienne pas entraver ses objectifs de bonne maîtresse de maison ! Combien de pères vont-ils refuser à leur enfant l'apprentissage du bricolage ou du jardinage pour lui éviter de se salir ou de se faire mal ! Il arrive même que certains parents attachent leur petit enfant au pied du lit sous prétexte de sécurité alors qu'ils ne semblent pas réaliser que ce qu'ils veulent, en fait, c'est le maintenir dans un état d'immobilité, qui lui est de toute façon nocif. Il serait tellement plus constructif pour lui qu'il soit soutenu dans son désir de découverte, de savoir-faire et de compréhension en l'encourageant à agir comme un adulte sans avoir à le rabrouer par des injections limitatives: « arrête de bouger comme ça ! », « ne touche pas, c'est sale ! », « tu vois, je te l'avais bien dit, tu es tout sale maintenant, tu es moche ! ». Tout dressage de l'enfant par les parents, sous prétexte d'éducation, est une incitation perverse de ceux-ci à la passivité.
Marcher, courir, monter un escabeau, se balancer au tronc d'un arbre, se rouler par terre, jouer au ballon, peindre, sont autant d'activités ludiques pour l'enfant qui lui permettent de construire une personnalité affirmée ouverte sur l'échange avec autrui et le respect des lois qui régissent cet échange, ainsi que de maintenir sa curiosité en éveil.