Pour embrasser d'un mot superbe, l'ensemble des savoirs appliqués aux êtres et aux choses, Emmanuel Kant écrivait : " Le ciel étoilé au-dessus de ma tête, la loi morale au-dedans de mon cœur ". A priori énigmatique, cette conjonction des phénomènes hétérogènes incite à les regrouper sous l'éclairage d'une seule et même problématique. Sous terre gronde le choc sismique et sur elle souffle un vent de panique. A ces deux niveaux, tectonique et anthropologique, l'humanité, souvent inauthentique, a inventé la notion d'accident pour occulter l'unique vérité celle du chaos sans cesse lové en nous-mêmes et sous nos pieds. Ce camouflage de la dynamique permanente par l'illusion de la statique rassurante sème une fausse idée à la fois de la vie, de la mort et de la stabilité. Cette vision erronée colonise tous les paliers de l'univers socialisé . Tout est vanité Sans rougir, les écologistes mentionnent " le développement durable " quand rien n'est durable, et dans le nid des économistes, encore plus naïfs, les équilibres généraux baignent dans un déséquilibre général. Si les quantitativistes oublient d'associer la danse des chiffres à celle des hommes affairés, Brenard Madoff ricane derrière le chaos du crash boursier. Culture du faux, la symbolique fantasmatique de l'immortalité embaume la plaie ouverte par l'incontournable pensée de l'impensable. Revenir par la fenêtre, une fois sorti par la porte inspire le souci d'écrire ou de bâtir. Aux maigres consolations, Bossuet, l'inimitable orfèvre des oraisons funèbres, opposait une formulation célèbre, " vanité des vanités et tout est vanité ". Ce nihilisme prospère sur une vision religieuse, mais sans aller jusqu'à franchir le seuil intercalé entre le profane et le sacré, il recèle, toujours, une certaine validité. Le code, une fois sclérosé, encoure le risque de subir l'assaut volcanique, du codifié. Une illustration, choisie loin d'Haïti, suffit à suggérer l'opérationnalité universelle et intemporelle de cette problématique où l'anthropologie trouve sa boîte à outils. Dans les années soixante, et à l'instar d'autres pays sortis de l'occupation colonialiste, la Tunisie introduit le système de la planification dite " socialiste ". A ce moment-là, l'URSS ne vacillait encore pas. Mandaté par le gouvernement, un bureau d'étude " L'Institut des Sciences Economiques Appliquées " poursuivait des investigations pluridisciplinaires et prospectives afin d'éclairer le processus engagé. Successeur de François Perroux, De Bernis venait, à intervalles réguliers, pour diriger le groupe de chercheurs presque tous économistes chevronnés sociologue de l'équipe , j'exposai mon enquête menée sur l'implantation des " Unités Coopératives de Production " dans les plaines céréalières du nord. Au mitan de mon intervention, De Bernis paraissait, tout à coup, interloqué. Inquiété par son air, soudain rêveur, je lui demandai si je devais m'arrêter. Mes collègues voguaient, avec une assurance très justifiée, parmi les occurrences afférentes à leur domaine de compétence. Peut-être bien que le discours sociologique, où le sens ne se recense pas, lassait les tenants de l'exactitude mathématique. A ma grande surprise, l'étonné me répond : "Mais non, mais non, continuez...". J'avais pris un surcroît, perplexe, d'intérêt, pour un désintérêt. Sous la croûte, figée, du calcul abstrait, le surpris venait d'écouter le roulis du volcan sur le point de libérer l'irruption, chaotique, de la protestation longtemps comprimée. Outre l'opposition des grands propriétaires, la petite paysannerie parcellaire tenait, par l'entremise du sabotage intérieur, à récupérer sa terre confisquée. Le désordre couvait sa flamme sous la cendre de l'ordre. Au plan du modèle formel, ou structural, et de son application, ici, sommes-nous si loin d'Haïti ? En l'an 1969 l'édifice coopératif sombre tel un château de cartes... L'imminence de l'insurrection, et de sa manipulation, inspirait le recul du pouvoir étatique face à la puissance populaire. Il fallait, à tout prix, et vite, rétablir le mécanisme de la régulation politique, sur les hauteurs de l'autorité, sous peine d'ouvrir la brèche au chaos. A Port au Prince, la destruction du palais présidentiel pointait vers la disparition de l'Etat et , au pillage, celle-ci ouvrait la voie. Montées, partout, à l'assaut des croûtes plus au moins figées, les dynamiques telluriques et anthropologiques se répondent. Salaire de la peur, une fausse vision du monde nous aide à oublier sa vérité profonde. Sur le magma en fusion, comment pouvons-nous fumer le calumet de la paix ? Cette posture paradoxale campe au carrefour des pulsations et des cristallisations. Ici finit, hélas, le périmètre de recherche permis à la sociologie. Mais face à l'analogie des modélisations explicatives du volcanisme et de la révolution, comment ne pas rapporter ce dénominateur commun à l'unité originelle du cosmique et du vivant ? Dans l'un et l'autre cas opère la dialectique du mouvement et des conglomérats. Vaste programme pour un dialogue à susciter entre sociologues, biologistes et planétologues. Mais, en dépit de l'étrange homologie, chacun des sensés savoir poursuivra la science de l'autre sans jamais parvenir à la rejoindre tant la manière dont fonctionnent les êtres et les choses n'ajoute rien, ou presque, à leur connaissance. Que resterait-il des classiques théories sociologiques une fois soumises à ce genre d'autocritique ? Ici aussi, dans le domaine cognitif, rien n'est définitif. La pensée vivante brise les édifices promis à une mort lente ou violente. Dommage, car à ce colloque sans frontières disciplinaires, même les romanciers seraient invités. Quelle serait leur éventuelle et précieuse contribution à l'auguste réunion ? L'irruption de la passion, appréhendée à l'état naissant, dérange l'ordre patriarcal et dresse l'un des piliers fondateurs de l'émancipation générale. A quoi sert la transformation politique sans libération psychique ? L'une et l'autre avancent main dans la main quand, au Soudan, Lobna aimerait voir le monde social devenir tel qu'il devrait être, selon elle et bien d'autres belles demoiselles du Pakistan ou de l'Afghanistan. K.Z