Que d'émotions vives, que d'effets intenses saisissent le spectateur du quatrième art, art qui puise dans le « pathos » son essence et ses motivations les plus profondes depuis Aristote et les philosophes grecs. Scène de la vie, le théâtre est plus grand, plus profond et nettement plus émouvant quand il se met en scène lui-même. Les frontières entre réalité et fiction, entre illusion et désillusion s'estompent et le comédien identifié avec le personnage, ne joue plus… Tel est le contour de la pièce intitulée « Le comédien King Lear » de Hichem Rostom, dont la dernière représentation a été jouée samedi dernier au quatrième art. Texte et mise en scène de Hichem Rostom dans le rôle titre avec la participation brillante de Adbellatif Kheireddine, Syrine Martine Gafsi et Youssef Benedetto, cette pièce se construit sur la mise en abyme. Clairement inspirée du théâtre élisabéthain, elle réfléchit sur les rapports entre le théâtre et le monde à partir de la mise en scène d'un personnage problématique. Comédien de renommée, « King » est un personnage qui a voué sa vie au théâtre, au rôle de « King Lear », rôle qui a fini par lui coller à la peau durant plus de trente ans. Grâce à son talent, sa carrière est à l'apogée d'un succès qui s'écroule le soir où le Théâtre Municipal de Tunis va être détruit… Eloge de la Folie Cette circonstance fort significative intensifie les rapports entre l'homme et l'espace, entre le comédien et le rôle. A bout de souffle, au terme d'une vie passionnée et remarquablement réussie, ce n'est pas seulement le personnage qui disparaît, c'est le comédien, l'homme qui s'effondre. Sa carrière se confond avec sa vie et le théâtre devient son âme, son monde et sa raison d'être. Cette identification se traduit dans la pièce par l'onomastique du personnage. Appelé « King », « roi », ce personnage ne se reconnaît qu'en vertu de ses rôles. Personnage Shakespearien par excellence, le théâtre pour lui est la vie. L'édifice du Théâtre Municipal de Tunis, détruit, l'Art qu'il représente ainsi bafoué, outragé, est l'allégorie qui représente l'autre versant de l'existence de « King ». Le succès fulgurant et le talent considérable sur scène, se meuvent dans la vie en une misère et une marginalisation cruelles. Mépris, injustice et maltraitances de toutes sortes s'attaquent au combat du comédien, au combat de l'homme qui se rejoignent et se résorbent en un combat pour la vie. Réquisitoire du quatrième art Réquisitoire de l'ART, le quatrième en l'occurrence, la pièce n'a d'autre but que la revendication des droits de vie, de liberté d'une passion qui s'exprime avec les accents les plus sincères et les plus touchants d'un homme qui se confond avec ce qu'il fait. Tel est l'appel ultime qui clôt la pièce. Le salut éloquent du public qui précède la tombée du rideau est un salut qui laisse entendre plus que du respect, de l'espoir… Nous restons néanmoins sur notre faim et le questionnement se maintient : le Théâtre Municipal de Tunis sera-t-il vraiment détruit ?