Tahar Ben Jalloun est sûrement l'un des seuls écrivains d'Afrique du Nord (sinon le seul) en langue française que l'Hexagone a su ou voulu sauvegarder. Après des noms sublimes partant de Camus a Khaïreddine, en passant par Memmi, Yassine, Chraïbi, Haddad, Boujedra, Feraoun, Koskas, et j'en passe, ce constat qui couvre quelque cinquante années est loin d'être conséquent. Au service de la Marquise Faudrait-il que ses décideurs révisent leur politique de la Francophonie, ou que la France, dans sa grande mansuétude, revoie ses rapports avec les peuples de ces pays et - partant - avec leurs artistes et intellectuels. Car c'est connu depuis l'antiquité grecque - si le pouvoir peut commander ou aider à la création d'une œuvre artistique, cette action ne peut se réaliser que dans la totale liberté de l'artiste.
Les artistes qui sont inféodés à un pouvoir perdent ce qualificatif pour devenir des simples exécutants au service des intérêts et de la politique de ceux qui les couvent.
J'ai eu à m'entretenir avec Ben Jalloun lors de son dernier passage à Tunis sur les ondes d'une radio privée de la place. J'ai commencé à le questionner sur le début des années 70 et la répression dont il fut - avec beaucoup d'autres intellectuels ou militaires - victime. Il dénonça la politique répressive de l'époque.
Puis j'en vins à lui demander quelle est la cause essentielle de son succès en tant qu'écrivain nord africain de langue française. Il me répondit "le travail... le travail et... le travail. Il n'y a que cela qui paye".
Je me suis alors étonné du fait que quelqu'un comme Mohamed Kheireddine Auteur de "Agadir", "Corps Négatif", et "Histoire d'un bon dieu", qui avait reçu le prix Renaudot à 24 ans, qui avait une plume au souffle dévastateur, crevait la dalle à Paris à la même période qu'on commençait à parler de Ben Jelloun comme le plus virulent des écrivains issus du Maghreb.
Sur ce, le responsable culturel français qui accompagnait Ben Jelloun a demandé à ce que l'émission s'arrête et il lui signifia qu'il était grand temps de partir.
La liberté d'expression a, on le sait, des garde-fous inébranlables, quand les personnes issues d'ailleurs et ne correspondant pas au moule auquel tout artiste ou intellectuel doit s'adapter en font usage.
Les Arabes améliorés La francophonie a ses marionnettistes, ses héros, ses adeptes et ses mécréants ! N'oublions - surtout pas - ce long chemin de traverse que nous avons emprunté pour arriver à ce qui nous interpelle aujourd'hui. Une émission diffusée par TV5 consacrée au même Ben Jelloun et qui malgré des passages fort éloquents - sera traversée par une intrusion fort alarmante en elle-même mais elle l'est encore plus parce que cette émission a été rediffusée plusieurs fois sans que personne, et encore moins cet immense philosophe de BHL, ni les vaillants mouvements contre le racisme, n'aient exprimé le moindre signe d'indignation.
Au milieu d'une ballade somme toute fort intéressante à travers les espaces où il a évolué et l'époque qui les caractérise, Tahar Ben Jelloun, lors d'une cérémonie culturelle, nous présente avec un large sourire sacrement démocratique, un ami... écrivain il me semble. Néanmoins, son arrogance et son racisme primaire ne souffrent aucun doute.
Ben Jelloun commence à parler d'Essaouria dont ce dernier est peut-être issu et ce seigneur d'Abraham Buchuolo de couper court les présentations en lançant de but en blanc, sans raison visible : "Pour nous, les marocains sont des arabes améliorés !".
Et toc ! ! ! Analysons maintenant si vous voulez qui est ce "nous". Oseriez-vous répondre à cette question sans risquer d'être dénoncé comme anti-sémite alors que vous êtes sémites vous-mêmes.
Question à laquelle cet anti-sémite de Buchuolo (puisqu'il méprise les Arabes qui font partie jusqu'à nouvel ordre des sémites).
Trouve tout de suite une réponse : "Etre Juif n'est pas une religion, répond-il à Ben Jelloun qui avec gorge nouée et sourire forcé lui rappelait qu'il était juif. Etre juif c'est tout simplement naître d'une mère juive. Et il conclut : Etre juif, c'est être un peuple".
Ne comprenez surtout pas par là que vous les Arabes (améliorés ou pas) n'êtes pas un peuple mais une sous-race.
Le silence de l'amer Le plus révoltant ce n'est pas que des racistes expriment encore leur magnifique vision de ceux qui ne leur ressemblent pas, que personne parmi les Arabes ou les associations arabes ne se soit porté partie civile contre ce sympathique M. Buchuolo (nous connaissons leurs limites) mais que personne parmi la communauté juive en France ou ailleurs, ce peuple qui a tant souffert des graves méfaits du plus venimeux des racismes - ne se soit élevé contre les propos d'un tel rustre et ne lui ait pas intimé l'ordre de ne pas parler en son nom. Car qu'on le veuille ou pas c'est au nom de tout le peuple juif que ce monsieur s'est exprimé.
L'on connaît les raisons de cette intervention. Ben Jelloun avait pris - en ces temps là position contre la guerre de Gaza et avait soutenu le droit du peuple palestinien à être souverain. Il va d'ailleurs refaire la même déclaration lors de cette cérémonie... mais avec beaucoup d'efforts tellement il semblait ébranlé.. tout en soulignant qu'un Etat palestinien ne peut exister sans l'accord d'Israël.
La farce et la suite A part cet incident, le voyage que nous propose TV5 avec Ben Jelloun est ponctué d'escales révélatrices : Tout d'abord son arrestation, les sinistres événements de Kenitra en 1971 : "C'est très difficile de convaincre un désespéré de ne pas se tuer" dit Ben Jelloun. "Un homme a été torturé. Pour atténuer l'atrocité de ses douleurs, il inventa un stratagème. Tandis qu'on le torturait il se rappelait les plus beaux moments de sa courte vie... Une fois enterré, il continua à parler du fond de sa tombe".
Un petit passage obligé par la tombe de Genet. "L'engagement de Genet auprès du peuple palestinien est exceptionnel. Aujourd'hui plus personne ne peut défendre ce peuple comme il l'a fait". Quant au débat sur l'identité nationale, "c'est un nationalisme qui ne dit pas son nom. Une façon de dire qu'il y a des bons et des mauvais français". A propos de "Hospitalité française" titre provocateur de ce livre qui commence par la liste macabre de ceux qui ont été tués pour des raisons racistes : "La France a toujours été traversée par des courants racistes que ce soit contre les Juifs, les Noirs ou les Arabes. Ils ont été choqués par le fait que je publie cette liste au début de mon livre. Mais en vérité ce n'est pas l'évocation de ces faits qui devrait les choquer mais la réalité".
A propos de ses rencontres avec les enfants pour leur expliquer l'Islam. "Ma fille me disait "papa, les Musulmans sont méchants... les Arabes sont méchants...".
Ben Jelloun ne doit sûrement pas habiter la cité des quat'Mille à St -Denis car les enfants de ces ghettos ont conscience qu'ils sont, eux et leurs proches et parents, des Arabes et des Musulmans. Entre nous, tant mieux pour la petite. Entre une horrible banlieue et un joli quartier de Paris, que choisirait le plus bête des humains ?
A propos de rébellion, "Je ne suis pas dans la rébellion. Je n'ai jamais envoyé balader mes parents. Mon œuvre puise ses racines dans les conflits de société et non dans la révolte contre des parents que j'ai toujours chéris".
Et enfin, à propos de langue française. "J'ai très tôt résolu le problème de la langue. Je pense que c'est la langue française qui a envahi mon inconscient et non l'arabe.
Ceux qui me demandent d'écrire en arabe me veulent quelque part du mal puisqu'ils savent que mon arabe est faible. J'aurais donc écrit des choses sans réelle valeur".
Heureusement qu'il n'y a que l'arabe qui soit faible chez M. BenJelloun. Le reste témoigne - heureusement - d'une force et de vigueur hors du commun.