Il est, aujourd'hui, un acteur incontournable dans le développement culturel et socio-économique Dans l'esprit d'une immense majorité de Tunisiens, le psychologue est un médecin de la santé mentale. On le confond souvent avec le psychiatre et le psychothérapeute, voire même avec les guérisseurs soi-disant détenteurs de pouvoirs extra-lucides. Le plus grave, c'est qu'on n'imagine pas que, dans l'exercice de sa profession, il puisse être d'une utilité quelconque au développement de sa société. C'est pour, entre autres objectifs, lever les préjugés et les aberrations entourant ce métier qu'une table ronde fut organisée mardi dernier à l'Institut Supérieur des sciences humaines de Tunis à l'occasion de «La fête de la science». Il s'agissait également de rassurer les étudiants de psychologie sur l'employabilité de leur filière, mais en même temps de leur faire prendre conscience des efforts qu'ils sont censés fournir eux-mêmes pour trouver du travail stable, réussir leur carrière et affiner continuellement leur formation et leurs compétences. Quatre professeurs chercheurs se sont relayés pour démontrer le rôle primordial du psychologue dans le développement culturel et socio-économique d'une société moderne. Il s'agit respectivement de M. Chafiq Ghorbel, M.Nouri Romdhane, Mme Nicole Sfayhi et M.Abdelawaheb Mahjoub. L'importance de la psychologie du travail Pour M. Ghorbel, psychologue social, la psychologie est d'une grande utilité dans les nombreux domaines de la vie sociale où elle peut être appliquée (monde du travail, secteur de l'économie, institutions, sport, éducation etc.). Pour en donner la preuve, il prend l'exemple de la gestion des ressources humaines dans les entreprises tunisiennes avant et après la libéralisation économique. « Lorsque notre économie évoluait dans un système protégé, explique-t-il, les entreprises locales ne craignaient guère la concurrence des produits étrangers. Le consommateur était obligé d'acheter ce qu'elles fabriquaient, dans la mesure où il n'était pas toujours à même de s'offrir les produits de meilleure qualité fabriqués à l'étranger et surtout dans les pays industrialisés. Sur le plan des recrutements, on n'appliquait que très rarement les critères de compétence. Mais à l'ère de la libéralisation économique et de la concurrence des produits importés, on se rendit compte de la nécessité de gérer plus efficacement les ressources humaines de l'entreprise en vue d'une meilleure compétitivité. C'est pourquoi, on commença, à partir des années 80, à rationaliser les recrutements et les profils ; on prit conscience de l'importance de la psychologie du travail et de la psychologie industrielle, d'où le recours plus fréquent aux cabinets de consulting et aux psychotechniciens. Actuellement, il n'y a pas que les grandes sociétés publiques et les banques qui font appel à ces experts ; mais de plus en plus d'entreprises privées (notamment celles qui sont axées sur la communication) sollicitent les services des cabinets de conseil. » Des recrutements très insuffisants M. Nouri Romdhane s'intéresse pour sa part à la place de la psychologie dans l'éducation. Il remarque d'abord que notre système éducatif enregistre un taux d'abandon de 14 % en fin d'études primaires. Ensuite, il évoqua l'exemple du système éducatif français dont s'inspire le nôtre et qui, bien que très défendable en théorie, montra très tôt ses limites quand il fut appliqué. On recruta alors des psychologues pour expliquer les facteurs de cet échec. Ce qui démontre l'apport du psychologue dans la contribution à un environnement scolaire et à un enseignement de qualité. « Chez nous, de nombreuses propositions ont été présentées aux autorités pour réviser le système éducatif. Les responsables au niveau du ministère de l'Education sont tout à fait conscients du rôle primordial que peut jouer le psychologue dans les institutions éducatives, mais les recrutements qui ont été faits jusqu'à présent restent très en deçà des attentes et des normes. Il paraît que l'empêchement qui retarde des recrutements plus conséquents soit d'ordre financier. C'est ce qui a fait que les établissements de notre pays ne fonctionnent encore qu'avec une dizaine de psychologues seulement. Or, je suis convaincu qu'un système qui tourne à vide sans spécialistes pour remédier à ses lacunes est voué d'office à la ruine. Dans ce sens, j'ai toujours dit que l'avenir de la Tunisie se joue au ministère de l'Education » Prévenir c'est mieux que guérir ! Mme Nicole Sfayhi (clinicienne) remarque, quant à elle, qu'en général, on ne fait appel au psychologue que pour une action réparatrice. « Or, nous serions de loin plus utiles au pays et aux institutions qui sollicitent nos services et notre conseil si l'on nous faisait intervenir aux stades du dépistage, de la prévention et de l'accompagnement ! » Elle met ensuite l'accent sur la nécessité d'associer les psychologues à l'information et à l'accompagnement des familles d'adolescents en détresse et des couples dissociés dont les enfants sont traumatisés par la séparation de leurs parents. « Les cellules d'écoute sont une bonne chose, mais là encore c'est pour réparer un mal. Nous devons plutôt anticiper le mal et intervenir pour éviter qu'il ne se produise ! On économise la transmission des souffrances en optant pour la prévention ! ». Elle se pencha enfin sur le cas des enfants des crèches et des jardins d'enfants et déplora l'absence des compétences capables dans ces structures soi-disant éducatives d'aider les enfants à s'épanouir. Des milliards économisés L'intervention de M. Abdelwaheb Mahjoub se focalisa sur l'apport financier du travail du psychologue. « Lorsqu'il existe des psychologues à l'école, explique-t-il, l'établissement et son infrastructure pâtissent moins de la violence des élèves et l'on épargne ainsi beaucoup de dépenses inutiles à ses gestionnaires. Quand on fait participer les psychologues aux campagnes de prévention routière, on économise des milliards chaque année. Les institutions de l'Etat recrutent des psychologues chez nous, les associations aussi ; mais aujourd'hui le marché de l'emploi exige la qualité dans la formation du spécialiste recruté. C'est pour cela que nous recommandons aux futurs diplômés de la discipline de se recycler continuellement, d'actualiser et de parfaire leur formation. C'est leur compétence qui fera basculer la balance en leur faveur, conclut-il. » L'espoir est permis Dans le débat qui a suivi ces interventions, on souligna la nécessité de combattre les préjugés et les suspicions qui entourent la profession, le devoir d'informer les citoyens et les officiels sur l'apport multiple du psychologue et l'importance du soutien à apporter aux jeunes diplômés afin qu'ils s'aguerrissent dans le métier. On rassura tout de même les étudiants présents sur l'employabilité de leur filière. Ils devront seulement s'armer de patience pour voir tous leurs mérites reconnus parce que notre société est en continuelle évolution vers la vraie modernité. Badreddine BEN HENDA -------------------------------------------- Quelques chiffres instructifs *Sur l'une des affiches placardées sur les murs du département de psychologie à l'Institut Supérieur des Sciences Humaines de Tunis, on lit qu'en Tunisie, il y a 70 millions d'oliviers, 10 millions d'habitants et seulement 300 psychologues ! *En Israël, il y a 1 psychologue pour 1500 habitants. C'est la couverture la plus élevée au monde. Aux U.S.A. et dans certains pays européens, le taux est de 1 psychologue pour 2000 habitants. *La Tunisie perd chaque année 700.000 dinars suite aux accidents de la route ; les pertes s'élèvent annuellement à 260 milliards de millimes. La contribution des psychologues aux campagnes de prévention routière pourrait faire économiser à l'Etat plus de 50 milliards chaque année. (Chiffres avancés par les professeurs intervenant dans la table ronde)