Ce matin, je me suis réveillé libre comme un oiseau en cage. Je n'eus même pas à claquer des doigts pour que la machine high-tech chargée de mon confort se mette en branle. Ce fut tout d'abord le robot chargé de ma toilette matinale qui s'occupa de me faire prendre mon bain, m'essuya, me rasa, me parfuma et brossa mon joli dentier serti de crocs en diamants dont la pointe rappelle la plume des vieux stylos à encre. Ensuite, ce fût au tour du robot “costumier” qui, après avoir étudié toute la météo de la journée à venir, m'habilla du plus beau costume en soie qui soit. Je mis mon petit magnéto en forme de poulet libertaire dans la porche revolver de mon manteau en angora et, d'une démarche digne du plus viril des cow-boys de cinéma, je sortis dans la rue, gonflé à bloc à la recherche d'un méga scoop culturel. Aucun nuage, aussi minime soit-il, ne pouvait venir obscurcir mon immense ciel d'investigation journalistique, baigné ce matin là, par un beau soleil d'hiver, illuminant tous les passants sans différence de race ou de classe, prouvant, encore un fois, à nos détracteurs ancestraux que cet astre est la propriété de tous et que chacun, du haut jusqu'en bas de l'échelle fatale, pouvait jouir de ses bienfaits ou de ses méfaits autant qu'il veut.. sans payer d'impôts et sans demander de visa pour ce faire. Je n'avais aucune crainte quant à la possibilité de décrocher mon bon scoop culturel de la journée dans ces contrées où le patrimoine est ultra préservé, où les théâtres poussent comme des champignons, où le moindre cinéaste peut commettre jusqu'à trente ou cinquante longs métrages par saison, où le moins puissant des romanciers a - au moins une fois dans sa carrière- décroché un prix Nobel… J'allais donc en chaloupant tranquillement, la main droite à quelques centimètres de mon magnéto près à dégainer au passage du premier méga-scoop culturel. Je gagnais la place de la poésie où j'ai pu écouter trois cent mille poètes au visage vindicatif, aux dents jaunies par l'eau trouble ou le mauvais tabac, au poing levé, aux yeux exorbités, au pantalon trie bouchonnant et aux chemises et vestes vertes striées de marron froissées à souhait qui déclamèrent chacun cent vingt poèmes dont je ne pus retenir un seul vers et qui s'éparpillèrent comme des oies quand j'ai dégainé mon arme fatale. Ensuite, gagnais la rue du livre ou trente six mille romanciers semblaient épuisés à force de vouloir nous présenter des œuvres toutes épuisées avant même d'avoir été éditées. Je passais au Colisée du théâtre ou j'ai pu entendre quelques jeunes bourricots parler avec fierté et orgueil de leur dernier « One âne show » à quelques vieux comédiens à la barbe hirsute qui se contentaient de gémir en pensant aux temps anciens. De là, je pénétrais le temple du cinéma ou quelques vieux réfractaires se plaignaient du fait qu'après avoir soulevé des montagnes, leurs films n'intéressaient plus personne ni les producteurs, ni les diffuseurs, ni le public, ni même, eux-mêmes. Quelle était leur problématique ? Qu'on leur donne encore un peu plus d'argent pour faire des films qui seront à coup sûr des bides mais leur bide à eux, sera au moins honnêtement rempli. Dans la vieille usine électrique désaffectée, j'ai vu des bataillons de jeunes peintres aux canines acérées, menés au pas par quelques vieux débris qui se prenaient encore pour Dada ou pour Dali. Oh, mon Dieu, que de méga-scoops et lequel choisir pour ébranler les cerveaux si raffinés de nos lecteurs, nos frères et ennemis comme les appelaient Baudelaire ? Tout cela était du menu fretin, du réchauffé. Il me fallait coûte que coûte décrocher quelque chose de nouveau et de sismique. Je déambulais encore quelques temps dans la rue. Au hasard de mes pérégrinations, je rencontrais une bande de jeunes partisans qui scandaient. « Nous vaincrons. Inchallah..Inchallah Rabi sera avec nous » De l'autre côté de la rue, arriva une bande adverse qui scandait : « Rabi sera avec nous. Inchallah… Inchallah… nous vaincrons ! » Quand ils en sont venus aux mains et qu'ils ont sorti leurs ceintures et leurs gourdins, je dégainais mon magnéto-revolver. J'eus le plus beau scoop culturel de ma longue carrière. Fallait-il vous signaler que les deux bandes soutenaient chacune son équipe de foot favorite et que la rencontre allait avoir lieu dans deux semaines. Entre-temps, il fallait bien que ces jeunes passent le temps.