Il fut un temps où chaque quartier populaire de la capitale, dans les banlieues ou même à l'intérieur du pays, avait ses propriétaires de béliers de combats. Ces grands passionnés de la béliomachie se disputaient le championnat local, régional ou national qu'ils organisaient périodiquement en opposant des béliers de combat sur les terrains vagues en dehors de la ville ou sur les places publiques où s'entassaient des centaines de fans pour assister à ce grand spectacle et applaudir le bélier vainqueur. C'était dans les années soixante et soixante-dix où ces rencontres arrangées entre béliers étaient fréquentes et passaient pour un jeu populaire où les spectateurs s'enthousiasmaient autant que les propriétaires des béliers et se marraient vraiment malgré la brutalité du spectacle ! Une fédération de béliomachie a même été créée en vue d'encadrer les propriétaires de béliers et organiser les combats, sachant que cette pratique est une tradition qui remonte aux Berbères, les premiers habitants de la Tunisie et que certains estiment qu'il faudrait conserver ! Aujourd'hui, des combats pareils on en voit souvent et dans des « coins » précis. Mais cette « passion » est-elle bien réglementée ? Une tradition qui a ses adeptes… Selon les amateurs de béliomachie, il s'agit d'une tradition qui remonte aux Berbères où le bélier était privilégié et adoré. La pratique de la béliomachie qui se poursuit donc jusqu'à présent en Tunisie et en Algérie n'est qu'une forme d'immortaliser cette tradition vieille de plusieurs siècles. En Tunisie, cette pratique a été longtemps considérée comme un spectacle aussi bien sportif que culturel et structurée sous forme de clubs de la béliomachie. La forteresse d'El Karaka de la Goulette a servi d'arène à de multiples combats dans les années 90. Les partisans de la béliomachie évoquent toujours ces combats de béliers qui sont restés mémorables dans leurs esprits et vous citent dans les moindres détails les matches remportés par le bélier « X » à telle date et à tel lieu et vous indiquent la durée du combat et le nombre de coups de cornes donnés par les deux concurrents. Même si aujourd'hui la béliomachie n'est pas régie par une association ou une organisation, (la Fédération de la Béliomachie étant mise en veilleuse depuis quelque temps), elle connaît encore un succès dans les quartiers populaires et il semble que la passion pour les béliers de combat se transmet de père en fils. On voit de plus en plus de jeunes s'intéresser à l'élevage de béliers destinés au combat ; des matches sont organisés, surtout à l'approche de l'Aïd el Kébir ou à la belle saison et attirent un bon nombre de gens entichés de béliomachie. Ces matches qui se déroulent occasionnellement dans certains quartiers ne sont pas malheureusement pris en charge par une autorité quelconque et leur organisation reste l'apanage des seuls propriétaires des béliers, quand bien même ces rencontres devraient être encadrées par les autorités compétentes pour garantir la sécurité et le bon déroulement du spectacle. En d'autres termes, avant d'organiser un match, il faudrait que les autorités soient au courant tout comme il s'agit d'un match de football en vue de prévenir les incidents qui pourraient survenir entre les supporters. Et ses détracteurs Pour les amateurs de béliomachie que nous avons contactés, cette pratique n'est pas nouvelle dans notre société, quoiqu'elle soit dénoncée par certains détracteurs qui appellent à son abolition au nom de la protection des animaux, elle est bien ancrée dans notre histoire. Les partisans de la béliomachie justifient leur point de vue par le fait que les peuples du monde entier ont toujours eu recours aux animaux pour organiser leurs jeux populaires : en Tunisie, nous avons également le combat de dromadaires ; en Algérie et au Pays Basque, il y a aussi le combat des béliers ; le combat des chiens est surtout connu en Afghanistan ; le combat des vaches est très populaire en Haute-Savoie ; aux Philippines, on pratique le combat des chevaux ; aux Caraïbes, le combat des coqs est un jeu traditionnel. Ces fans fervents de la béliomachie insistent sur le côté spectaculaire du phénomène, dans la mesure où les assistants s'amusent tout en se défoulant comme s'ils regardaient un match de football au stade ; cela crée de l'ambiance et de l'enthousiasme parmi le public et puis, il y a un enjeu, un défi à relever ! Les détracteurs soutiennent que dans ce genre de combat, il y a l'expression de la violence, la consécration de l'esprit de la vengeance et surtout le manque de respect à l'espèce animale, ce qui constitue de mauvais enseignements pour les gamins qui viennent assister à ce genre de combats. Et puis, n'est-il pas ridicule de se délecter de combats organisés entre animaux ? Malgré toutes ces critiques, les amateurs de béliomachie trouvent que le combat des béliers demeure beaucoup moins violent et moins barbare que celui des chiens qui envahit de plus en plus notre pays depuis quelques années. En effet, presque quotidiennement, on peut assister à des combats farouches entre des molosses bien dressés qui attirent une foule de gens surexcités par la sauvagerie du spectacle où ces bêtes s'entretuent parfois jusqu'à la mort. Il n' y a pourtant rien de culturel ni de traditionnel dans ce type de combat entre chiens très dangereux dont les espèces ne sont pas très connues dans nos contrées : des rottweilers, des pit-bulls, des boxers, des boer bulls, des tosas… La béliomachie va-t-elle un jour disparaître pour laisser la place à ce jeu de chiens dont raffolent les jeunes d'aujourd'hui et qui passe pour une forme d'expression de violence qui anime cette jeunesse ? Hechmi KHALLADI
*** L'avis d'un vétéran de la béliomachie : « Au cas où ce secteur sera mieux organisé, les propriétaires s'organiseront entre eux et les combats auront lieu dans un stade et pas sur la place publique » La béliomachie, pratiquée en Tunisie depuis longtemps, est transmise de génération en génération. Les grands passionnés de la béliomachie ont réalisé des prouesses grâce à leurs béliers qu'ils ont bien préparés aux grands combats, si bien que leurs noms restent encore gravés dans la mémoire. Nous avons rencontré Monsieur Habib B. A, un vétéran de la béliomachie qui nous a longuement parlé de sa passion, de ses souvenirs avec ses béliers, de ses joies et de ses inquiétudes pour cette tradition. « C'est de mes ancêtres que je tiens cette passion, nous a-t-il annoncé avec fierté, dès ma prime enfance, j'assistais aux combats des béliers qui s'organisaient périodiquement sur les terrains vagues aux alentours des quartiers de Tunis. Dans tous les quartiers de Tunis et de la banlieue, il y avait des béliers de combats dont certains avaient une renommée à l'échelle nationale et qui conservaient le championnat plusieurs années de suite ! » A la question si aujourd'hui la béliomachie a la même popularité d'antan, M. Habib a répondu par l'affirmative : « Oui, absolument, c'est une tradition qui remonte aux Berbères et qui doit être préservée. Cette pratique persiste encore et je vois beaucoup de jeunes qui s'y intéressent. Mais, c'est dommage qu'ils ne soient pas encadrés ! Le bélier est le symbole de la force, de la virilité, de la patience, de l'élégance et de la résistance, c'est pour ces raisons qu'il était vénéré par les Berbères dans le passé. En outre, les Beys de Tunis mettait un bélier bien décoré et bien paré au devant de leur cortège. Aujourd'hui, il existe encore des amateurs de béliomachie ; mais ce qui manque vraiment, c'est la bonne race de béliers de combat. Il y a de moins en moins d'éleveurs de ce genre de béliers qui d'ordinaire se trouvent dans les régions du Nord-Ouest du pays, à la frontière algérienne, c'est pourquoi la béliomachie est une pratique très populaire en Algérie. Le bélier de Fernana reste le meilleur sur tous les plans : il est trapu et robuste avec de longues cornes, il est très combatif !» M. Habib a également été propriétaire de dizaines de béliers qui ont remporté des victoires écrasantes ; il en garde encore tous les détails sur les combats qu'il a disputés. Il se rappelle encore les noms de ses béliers ; il garde encore leurs photos marquées des dates et des lieux ; il a même une importante collection de cornes des béliers qu'il a possédés à travers les années. Evoquant avec lui, la question de l'élevage de ces béliers, M. Habib nous confia : « Il faut voir avec quelle passion, quel dévouement, le propriétaire élevait son bélier : il le gâtait plus que ses propres enfants. En moyenne, il faut un budget mensuel de 150 dinars par mois destiné au bélier (nourriture et soins), à part les frais de déplacement, car il fallait souvent se déplacer d'une ville à une autre pour participer aux combats. » M. Habib nous a aussi parlé des préparatifs, de l'ambiance et du charme qui entouraient les combats d'antan qui se déroulaient dans un esprit sportif : « l'essentiel était de participer, ajouta M. Habib, peu importe si l'on gagnait ou perdait le match, c'était l'ambiance qui comptait le plus, et puis, il y avait la gloire du maître du bélier victorieux qui était le plus significatif ! » Sur l'état actuel des choses et l'avenir de la béliomachie en Tunisie, M. Habib reste optimiste : « Tant qu'il y a des jeunes intéressés, la béliomachie a encore de beaux jours devant elle. Cependant, c'est un secteur qu'il faut réorganiser. Nous avons une Fédération de béliomachie qui ne semble pas fonctionner depuis quelque temps pour des raisons que j'ignore ! Sans l'intervention de cette fédération, il n'y a que le chaos qui règne dans cette activité qui passe pour un patrimoine culturel et un des aspects touristiques de notre pays dont on doit être fier ! C'est un produit touristique très captivant. Les touristes qui vont au festival de Douz pour assister aux combats des dromadaires pourraient voir ceux des béliers si un jour on organisait un festival du bélier ! Il est temps de mettre un peu d'ordre dans ce secteur. Ainsi, tous les acteurs seront contents : éleveurs, propriétaires de béliers et organisateurs de combats. Imaginez qu'un bélier de combat peut atteindre jusqu'à 2000 dinars et peut-être plus ! Au cas où ce secteur serait mieux organisé, les propriétaires s'organiseront entre eux et les combats auront lieu dans un stade et pas sur la place publique selon un calendrier fixé d'avance par la fédération. L'entrée sera payante pour éviter l'anarchie et les risques d'incidents qui surviennent d'habitude lors des combats ! »