« Saddam Hussein (détenu de haut rang #1) est interrogé au centre de détention militaire de l'aéroport international de Bagdad, Irak, Hussein a fourni les informations suivantes… » C'est ainsi que débute le rapport de chaque journée, ponctuée par l'interrogatoire de l'ex-président Saddam que ce dernier voulait une sorte d'entretiens « librement » consentis, en vue d'une publication ultérieure en anglais mais, surtout, en arabe mais aucunement comme simple interrogatoire. C'est un document d'une extrême richesse où l'on découvre derrière l'image du chef adulé ou décrié, un militant de la cause arabe, d'une extrême lucidité, sûr de l'amour que lui vouait son peuple et fier d'avoir accompli quelques petits miracles au niveau de l'habitat, de l'enseignement et du pouvoir d'achat de ce peuple qui, avant sa prise du pouvoir, vivait dans sa majorité au dessus du seuil de la pauvreté et de l'ignorance. Les entretiens-interrogatoires, s'étalent sur une période allant du 7 février au 28 juin 2004. Celui qui les a menés est l'agent spécial arabophone Piro. Ils sont catalogués comme suit : vingt entretiens et cinq « conversations ». Ils ont débuté moins de deux mois après l'arrestation fortement médiatisée du dirigeant irakien, le 13 décembre caché dans un « trou à rats » à sept mètres de profondeur dans une ferme près de la ville d'Al-Dôr à 15 km au sud de Takrit, proche de son village natal. « A la lecture de ces entretiens, c'est peut-être l'impression de surréalisme qui prévaut » dit Pierre-Jean Luizard au début de la préface de ce livre où un prisonnier parle et pèse probablement ses mots, dans l'incertitude de ce qui l'attend : un tribunal américain, une Cour américaine ou des juges irakiens dont le statut n'était pas encore défini ? Les questions du FBI traitent à la fois d'histoire (la prise du pouvoir de Saddam Hussein), de politique (le leadership irakien, les trois guerres du Golfe – Iran – Irak, Koweït et 2003 – le sort de nombreuses personnalités du régime, les répressions) et sont aussi plus personnelles (l'opinion qu'à Saddam de lui-même et de ses proches compagnons d'armes, comment il voit l'avenir). Parmi les réalisations dont il semble être le plus fier, Saddam cite le bond du niveau de vie des irakiens dans les années 1970, avec le développement des services publics : éducation, santé, transports, infrastructures ; l'accord signé avec Mustapha Barzani en 1970 qui mettait provisoirement fin à des décennies de guerre au Kurdistan ; la nationalisation du pétrole en 1972 ; le soutien de l'Irak à l'Egypte et à la Syrie dans la guerre de 1973 contre Israël ; le fait d'avoir survécu aux quatorze ans d'embargo, etc. « J'ai servi mon peuple pendant de très longues années. Mes plus grandes réussites sont les programmes sociaux et l'amélioration de certains secteurs économiques ». S'il a fait des erreurs ? L'erreur est humaine et celui qui se trouve parfait se met au même niveau que Dieu. Dieu revient souvent dans les déclarations de Saddam mais non comme une revendication mais comme une soumission aux événements que l'homme ne peut qu'accepter parce qu'elles se sont imposées à lui sans qu'il ait la force de les affronter ou de les apprivoiser. D'après Luizard « C'est entre les mains de Dieu » est sa réponse à la question sur ce que les Irakiens retiendraient de lui dans la postérité. Au fil des pages, l'on découvre un militant baâssiste de la première heure, convaincu de la justesse de la cause arabe et de l'unité du peuple irakien sans distinction de race ou de religion. Faut-il rappeler que le parti baas a été fondé grâce à des chefs et des militants qui étaient chrétiens, sunnites, chiites ou kurdes et que l'un de ses principes était la laïcité et le respect partagé entre les différentes confessions. Les raisons de ses démêlés désastreux avec les Etats-Unis sont au nombre de trois selon Saddam. Il note avant tout le pouvoir et l'influence sionistes aux USA. Après la fin de la guerre avec l'Iran, les médias occidentaux ont désigné l'Irak comme une menace militaire pour la région et donc pour Israël. D'après lui, les soulèvements dans le sud du pays, ont été matés parce qu'il était du devoir de son gouvernement de le faire. La guerre de 1991 avait affaibli le pouvoir central mais ce dernier s'est repris pour empêcher que l'insurrection ne prenne une ampleur incontrôlable. « Bush a encouragé les chiites à se soulever contre le gouvernement irakien. C'est l'aveu du crime commis par Bush » dit Saddam en réponse à l'agent de FBI qui l'intetrroge sur les atrocités subies par les chiites. Les rapports avec les inspecteurs de l'ONU, Israël, l'Iran, la Libye ; les missiles de longue portée ; la poésie ; ses contacts directs et quotidiens avec le peuple ; les discussions et l'échange d'idées qu'il dit avoir toujours encouragés même s'il ne participait jamais aux débats quand ils se présentaient parce qu'il se considérait comme supérieur à son entourage dans ce domaine ; la séparation entre religion et gouvernement ; sa démarcation nette par rapport à l'idéologie de Ben Laden et des nombreux zélotes qui l'ont précédé et d'autres sujets encore sont relatés. Malgré la censure exercée sur certaines entretiens pour raison de sécurité, ce document Saddam Hussein-La chute, Interrogatoires par le FBI sorti aux éditions inculte (collection temps réel) sera d'une grande utilité pour la lecture de l'une des périodes les plus noires de l'histoire du monde arabe et celle du reste du monde. Qu'on l'ait admiré, craint, fui ou haï, Saddam demeurera l'un des personnages clefs de cette époque. Et un être de chair et sang.