Le Temps-Agences - Les attentats d'Alger la semaine dernière semblent indiquer que la branche maghrébine d'Al-Qaïda, qui cherche à faire ses preuves, a commencé de recruter aux marges de la société algérienne, pour mettre en œuvre une nouvelle stratégie à fort pouvoir d'impact. Mais l'attitude de cette nouvelle franchise du mouvement d'Oussama Ben Laden, cet "Al-Qaïda au Maghreb islamique", comme s'est rebaptisé en janvier le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), est dénoncée par les anciens dirigeants islamistes de la décennie 90. Ces années noires du terrorisme firent quelque 200.000 morts, après l'interruption par les militaires des élections multipartites de 1992 que les islamistes du FIS (Front islamique du salut, dissous) étaient en train de remporter. "Je condamne et suis prêt à travailler pour arrêter cette effusion de sang", lance Madani Mezrag. Ancien "émir" de l'Armée islamique du salut (AIS, bras armé du FIS), il signa en 1997 la trêve avec Alger avant de bénéficier de l'amnistie dans le cadre de la politique de réconciliation nationale du président Abdelaziz Bouteflika. "Pour moi, la rébellion aujourd'hui en Algérie n'a pas de nom. Al-Qaïda aujourd'hui, c'est un parapluie, tout le monde travaille et Al-Qaïda peut signer, c'est facile", juge-t-il. Les attentats du 11 avril, qui ont fait 30 morts et quelque 330 blessés, ont été revendiqués par l'ex-GSPC. Ils ont frappé une Algérie qui n'avait plus subi d'attentats urbains depuis longtemps et croyait être enfin en train de tourner la page d'une interminable guerre civile. Ils ont aussi ébranlé l'équipe dirigeante et sa thèse d'une violence devenue désormais "résiduelle". Pour Hamida Ayachi, directeur du quotidien arabophone "Djazair News" qui travaille actuellement à un livre sur le GSPC, l'actuelle direction du groupe est "l'ancienne génération", le "noyau dur" idéologique ayant survécu à la répression militaire et rejeté l'amnistie. "Mais sur le plan du recrutement, c'est carrément une nouvelle génération", estime-t-il. C'est ce que semble indiquer le profil des auteurs présumés des attentats, des délinquants multirécidivistes: celui qui s'est jeté sur le Palais du gouvernement a été identifié comme étant Merouane Boudina, 23 ans, membre d'un fratrie de dix enfants, originaire d'un bidonville d'Alger. Selon la presse, il a effectué plusieurs séjours en prison pour trafic de drogue, avant de s'évanouir dans la nature. Le ministère de l'Intérieur s'est contenté de dire que les deux autres terroristes avaient été identifiés et étaient tous deux Algériens. Mais selon le quotidien "Liberté", l'un d'eux était Mouloud Benchiheb, lui aussi dealer et multirécidiviste, vivant au centre d'Alger, recruté par le GSPC en prison où il purgeait une peine pour trafic de drogue. "Ce sont des gens qui ont été dans les prisons, qui ont été marginalisés, qui ont beaucoup de problèmes", souligne Hamida Ayachi. D'après lui, les attentats viennent montrer que ce GSPC cherche à accroître son rayon d'action et son impact médiatique, "pour prouver que maintenant ils sont vraiment les vrais représentant d'Al-Qaïda au Maghreb". Si Hassan Hattab, fondateur du GSPC en 1998 écarté depuis, a condamné les attentats, la nouvelle direction "veut internationaliser le conflit et donc créer plusieurs foyers de chaos" dans la région, ajoute Hamida Ayachi. Le ministre de l'Intérieur, Noureddine Yazid Zerhouni, avait dans un premier temps estimé, selon le quotidien gouvernemental "El Moudjahid", que les terroristes algériens étaient "dans l'impasse", n'ayant "devant eux que deux issues: se rendre ou se suicider, et ils sont en train de se suicider". Mais, en révélant avant-hier la découverte de détonateurs à distance dans une des voitures, il a remis en cause la thèse de l'attentat suicide classique: "il est fort probable que les terroristes conducteurs des trois voitures aient sauté avec leurs charges d'explosifs à leur insu", a déclaré le ministre, des propos rapportés par le "Quotidien d'Oran". Et d'ajouter que "l'étude du profil" des terroristes identifiés "accrédite davantage cette thèse" des kamikazes malgré eux: la direction de l'ex-GSPC aurait ainsi instrumentalisé ses terroristes, les envoyant à la mort sans le savoir, pour ainsi mieux terrifier la population en évoquant le spectre des méthodes irakiennes d'Al-Qaïda.