Nul ne peut contester le fait aujourd'hui, lors même qu'ils en sont -mine de rien- à leur quatorzième édition, que les Prix littéraires « Comar d'Or », qui ont fait des émules depuis, aient largement contribué à apporter au roman tunisien, qu'il soit d'expression française ou arabe, un souffle nouveau. Boostant les ventes, encourageant les auteurs à écrire, ils sont ce qui manquait à notre paysage littéraire, où la lecture, en tant que pratique courante, faute d'être une passion, a largement périclité. Reléguant les livres aux oubliettes, ou les confinant dans le meilleur des cas, à n'être que des objets de décoration dont la seule fonction consiste à bailler aux corneilles, en remplissant les rayonnages d'une bibliothèque désertée. Dans le meilleur des cas. Pour autant, à la question de savoir si le roman tunisien en question, depuis, a retrouvé une « place au soleil », répondre par un enthousiasme exagéré, sans nuancer le propos, serait certainement le meilleur moyen de se fourvoyer, en se hasardant sur un terrain glissant, quand il est clair que ledit roman, a toujours du mal à émerger véritablement, en allant à la conquête d'autres cieux que les siens, sachant que c'est surtout par manque de visibilité qu'il pèche. Intra-muros aussi puisque la conquête n'est pas finie. Mais l'espoir est permis à coup sûr, et sur ce point-là, la majorité des invités à la rencontre-débat qui s'est tenue le mardi 13 avril courant, à l'espace COM'Art, entre spécialistes, universitaires, membres du jury, journalistes et autres participants, sont tombés d'accord sur le fait que l'initiative des prix, s'est avérée des plus heureuses, créant une émulation dans le secteur, et titillant la verve de romanciers, jusque-là en butte à un découragement notoire, peinant pour sortir un livre, et résignés à l'idée qu'ils en seront, avec l'éditeur, et peut-être un ou deux libraires éclairés, les seuls lecteurs. Le débat, qui a vu la participation du fondateur du Salon « Maghreb des Livres » à Paris, en l'occurrence M. Georges Morin, avait pour thème : « L'apport des prix littéraires à la promotion du roman tunisien ». Vaste programme, qui a par ailleurs été enrichi par les interventions des uns et des autres, lesquelles sont venues bien souvent sous forme de suggestions, sur ce que pourrait apporter de plus les Assurances Comar, au secteur du livre. A savoir ouvrir une brèche pour permettre à d'autres formes de la création littéraire, s'il en est, de participer au concours. Et inclure d'autres pays de la sphère maghrébine, dans la compétition. A été posée également, la question de la langue et de la traduction des oeuvres : un faux problème répondra notamment Georges Morin, puisque cette dichotomie supposée ne fait que fausser les enjeux. « La Tunisie est un modèle pour le Maghreb, en cela que le problème du choix inhérent à la langue a été résolu depuis longtemps » précisera M. Morin. « Dans la mesure aussi –ajoutera-il- qu'accéder à la spécificité d'un pays n'en passe pas forcément par la traduction ». Par ailleurs, et sur le plan de la visibilité, le fondateur du « Maghreb des Livres », évoquera les difficultés rencontrées à chaque fois, pour permettre à des éditeurs tunisiens de participer au Salon. Idem pour les éditeurs algériens : « Seul le Maroc a pris l'initiative depuis six ans, par le biais de son ministère de la culture, de prendre en charge tout l'aspect organisationnel, pour faire parvenir les livres marocains à Paris pour le Salon. Sachant également, qu'un accord a été passé avec la librairie rattachée à l'IMA (Institut du Monde Arabe), pour qu'elle prenne à charge d'écouler les ouvrages invendus, leur évitant de retourner vers leur destination d'origine. Cela étant, et comme ne manquera pas de le faire remarquer Abdelaziz Belkhoja, récipiendaire du Prix « Découvertes 2004 » de la Comar, le marché intérieur est déjà autrement intéressant si les romanciers tunisiens arrivent à l'investir. Et de renchérir sur l'impact du prix, sur la vente de son roman (Le retour de l'éléphant), lequel a bénéficié depuis, de sept éditions. Mme Kabadou (librairie Al Kitab) et Elisabeth Daldoul (Clairefontaine) ont assuré, justement en leurs qualités de libraires, qu'il est indéniable que les prix jouent le rôle de catalyseur, pour la vente des romans primés. Mais ce coup de pouce ne remplacera pas la qualité intrinsèque d'une œuvre, qui fera -ou pas- long feu, selon qu'elle tienne véritablement la route ou pas, ajoutera une intervenante. Le débat, particulièrement passionnant, n'a pas manqué de bifurquer, à chaque fois, sur le problème de l'absence d'un lectorat, susceptible de relever le secteur. Ce à quoi M. Rachid Ben Jemaâ répondra par une boutade : « vous ne prenez pas le métro ». Tant il est vrai que ce manque s'avère être révélateur d'un certain état de fait, qui est le désintérêt flagrant affiché envers la lecture, quand sous d'autres cieux on avale des livres au kilomètre, comme une seconde respiration. Toujours est-il, et pour remettre les pendules à l'heure, aussi bien Abousaoud El Messaâdi, ou encore Abedelwahed Brahem, rappelèrent en substance, chacun à sa mesure, que la Comar ne pouvait remplacer les instances concernées, pour pousser les jeunes, dans le milieu scolaire, à lire plus, mais s'attelle, à son échelle, à accompagner le roman tunisien, dans le cadre du prix ou en marge, par des actions ponctuelles, susceptibles de l'aider à prendre son envol. Ce qui n'est déjà pas si mal ! Le témoignage le plus édifiant, s'il en est : celui du jeune auteur Yamen Mannai, qui avait obtenu le Comar d'Or 2009 avec « La marche de l'incertitude », et qui, installé à Paris, dans le voisinage d'une librairie, a fait des pieds et des mains pour que le libraire en question accepte de le lire. Ce que le dernier ne fera finalement, et après moult tentatives infructueuses, qu'après la proclamation des Prix Comar. Séances de signature et tout le tralala. Qui a dit que le « Comar d'Or » n'avait pas d'audience ?