Le douzième long-métrage de Luc Besson porte au grand écran le personnage d'Adèle Blanc-Sec, la journaliste renfrognée que rien n'arrête, dont Jacques Tardi imagine et dessine les aventures depuis 1976. 1912, l'insouciante Belle Epoque, Paris : nous sommes à quelques mois de la Grande Guerre, Adèle livre ses trépidantes aventures à son éditeur et aussitôt part en Egypte afin de ramener à la vie la momie d'un médecin égyptien capable de sauver sa sœur jumelle plongée dans un état de catalepsie à la suite d'un accident survenu pendant une partie de tennis acharnée. La séquence d'ouverture penche du côté d'Indiana Jones avec souterrains enflammés et pièges pharaoniques. Adèle revient à Paris avec sa momie au moment où un mystérieux spirite fait éclore dans la grande galerie du Muséum d'Histoire Naturelle un œuf de ptérodactyle vieux de 136 millions d'années... Les lecteurs des premiers albums retrouveront les matériaux d'origine, le ptérodactyle ressuscité qui terrorise la ville endormie et les momies du Louvre en goguette. Ainsi qu'une galerie de personnages inventés par Tardi : Antoine Zborowsky, assistant du Jardin des Plantes maladroitement amoureux d'Adèle, Justin de Saint-Hubert, prétentieux chasseur de fauves, Dieuleveult ignoble savant fou, Léonce Caponi, inspecteur à la perspicacité laborieuse. Les amateurs d'effets spéciaux numériques trouveront aussi leur compte: Luc Besson a remis l'ancien Trocadéro à la place de l'actuel et a chorégraphié la sarabande des momies, la naissance, l'envol du ptérodactyle, puis son dressage par Adèle. Louise Bourgoin est convaincante en petit bout de femme décidée. Comme l'Adèle de papier, elle fume au lit et réfléchit dans son bain. Dans les deux cas, elle en sort légère et court vêtue. Les scènes ont un vrai intérêt plastique et permettent au personnage comme au spectateur de faire le point sur l'intrigue en cours. Hélas, les acteurs de Luc Besson, réalisateur, scénariste, dialoguiste, parlent comme on le fait aujourd'hui dans les cours de récréation. Au fait, le film est-il une adaptation de la série dessinée ? Bande dessinée et cinéma, les 9ème et 7ème arts selon l'expression, sont nés presque en même temps et les passerelles sont anciennes même si le passage se fait surtout des bulles vers l'écran plutôt dans le sens inverse. Depuis la fin des années 1980, et surtout le Batman de Tim Burton, dont le personnage principal à bien y regarder n'est pas le super héros mais la ville de Gotham, une nouvelle voie est ouverte. Les films américains adaptés des comics-books de DC ou Marvel (Superman, Spiderman, Daredevil, X-Men...) deviennent des succès mondiaux en s'appuyant sur une culture populaire. En dehors des dessins animés (Astérix, les Dalton) les bandes dessinées francophones semblent, sauf quelques exceptions comme Barbarella, parvenir plus difficilement à se transposer sur grand écran sans s'écarter de l'esprit même de la bande dessinée et de son atmosphère graphique. Entre autres exemples, le Blueberry de Jan Kounen (L'expérience secrète) est une libre franchise commerciale du cow boy de Jean Giraud dont les traits sont pourtant empruntés à J.P. Belmondo et dont les épisodes ont la construction du Western. Déjà, les deux fictions tirées des aventures de Tintin, au début des années 60, étaient un désastre. Depuis, aucune autre tentative n'a été tentée avec le personnage d'Hergé. Le secret de la licorne de Spielberg, plusieurs fois annoncé, devrait sortir en 2011. Le père de Gaston Lagaffe, Franquin, reconnaît que les BD européennes plus variées que les Comics made in US, dans les styles, comme dans les thèmes, sont malaisées à restituer au cinéma : les personnages sont physiquement déformés : gros nez, trognes improbables ; l'humour est souvent textuel. Les scénarii en revanche, peuvent donner de bonnes histoires de cinéma. Le constat vaut pleinement pour le film de Besson. Il est fidèle dans l'esprit, le sens du décor et la caricature des personnages de Tardi. Mais le reste, le second degré des récits dessinés, la méchanceté acide et cruelle, l'atmosphère d'un monde qui marche tranquillement vers l'apocalypse du premier conflit mondial n'y sont pas. Le monde dessiné de Jacques Tardi entrelace avec talent Jules Vernes et Céline, le roman noir et Belphégor, Rocambol et les surréalistes. Il se déroule comme un série populaire poussée vers la parodie : l'intrigue dérive, les personnages s'égarent, les rebondissements se bousculent . « Quelle salade » résume Adèle. Le genre de référence des aventures d'Adèle est le feuilleton qui apostrophe le lecteur et entretient le suspens. Elle ferait une bonne héroïne pour un média récent, le 8e art : la télévision. On attend la sortie du premier long-métrage d'animation de Jacques Tardi : Le Monde truqué. A suivre... Robert SANTO-MARTINO * avec Louise Bourgoin, Mathieu Amalric, Jean-Paul Rouve.