Même si depuis une petite vingtaine d'années, ses créations ne drainent plus les foules d'antan, il ne faut surtout pas oublier que ce petit fils du peuple faisait la pluie et le beau temps et que partout où elle évoluait, la troupe du théâtre du Sud laissait toujours quelques centaines de malheureux devant les portes closes de l'espace où elle se produisait. Il y avait souvent plus de monde dehors que dedans. Et cela tenait à l'ingéniosité de son chef suprême. Nous avons nommé Abdelkader Mokdad, celui que le public appellera pendant des longues années “Ammar Bouzouer”, cette pièce au record qu'aucune institution théâtrale ne pût battre, jusqu'à nos jours : huit cents représentations. Un véritable sacre pour ce phénomène issu d'un quartier populaire de Gafsa, orphelin de père à deux ans, titulaire permanent au théâtre scolaire. Un passage par le centre d'Art Dramatique puis un périple de formation via la France et la Bulgarie. Retour au bercail et rencontre avec les nouveaux “seigneurs” du quatrième Art Tunisiens (Raja Farhat, Jaïbi, Driss, Baccar, etc.) descendus dans le sud fonder l'une des troupes qui va régner sur le public populaire durant toute une décennie : La Troupe du Théâtre du Sud. Les fondateurs quittèrent rapidement Gafsa vers d'autres horizons, laissant la troupe à la dérive. Tapis dans la pénombre salvatrice, Mokdad, cet enfant du pays guettait ce moment depuis une éternité. Nommé à la direction de la troupe, Mokdad va lui insuffler une énergie à faire fondre les plus récalcitrants. Il est né le 10 mai 1951, au sein d'une modeste famille. Son père était tailleur et sa mère – comme beaucoup de mamans – « gardait la maison ». 1953, le petit Gaddour reçoit comme un grand choc la mort de son père. Cet événement affligeant aura des répercussions énormes sur sa vie artistique. “Le manque d'affection paternel a fait que je me sois trouvé très vite dans le rôle du père. Je regardais intensément les autres pères et j'imaginais : tel père à de l'allure, tel autre semble digne, ce troisième a tous les signes de la richesse, celui-ci est un homme de sciences. Etudier les autres papas, essayer de les comprendre, de les découvrir, est allé de pair avec le phénomène référentiel et le sentiment douloureux et profond du fait que j'étais orphelin. Cela fit naître en moi une espèce de complexe. Mais-je peux dire, cependant, que cette situation a enrichi mon imaginaire”. La situation de veuve de sa mère, vivant dans un lieu d'extrême pauvreté, supportant dignement les vicissitudes et la cruauté des temps, a fait qu'il la regardait, non pas comme une personne, mais comme un personnage de fiction. Tout comme, il s'est projeté dans la peau du père absent, il s'est référé au personnage digne et combatif de la mère. Cet exercice, somme toute inconscient, a fait de lui un rêveur. Ces références seront cruciales pour Mokdad. L'appropriation de la vie des autres, par l'imaginaire, ne serait-ce pas là, la véritable essence du théâtre ? Les pièces qu'il signera par la suite, que ce soit “Hamma Ejridi”, “Abdelkader El Meddeb”, “Lakhdhar Gayem” ou “Belgacem le borgne”, auront comme héros, des personnages issus d'être réels auxquels il s'est référé : “Ce sont des richesses populaires mises à la disposition de notre imaginaire”. 1973, fût le premier véritable départ de Mokdad puisqu'il va porter plusieurs rôles dans le spectacle consacré à l'itinéraire du syndicaliste Mohamed Ali El Hami, texte de Raja Farhat et mise-en-scène de Fadhel Jaïbi… Ensuite il fût “El Borni” dans “El Borni wal attra” texte adapté de Rozante par Raja Farhat et encore Jaïbi pour la mise en scène. Après “El-Zazzia El Hilalia” où des fissures commencèrent à éroder les membres de la troupe, Jaïbi quitta Gafsa. Driss, aussi, suivis un peu plus tard par R. Farhat. Mokdad fût nommé directeur de la troupe (1975). D'entrée de jeu, il commença à multiplier les succès. Successivement, ce fût “Hama Ej-ridi”, “Ej-rad”, “Firène Eddamous”, reprise de “El Broni wal attra”, “Eddonnia Hibayet” qui fût refusée par la commission, “Sahab El Kalam”, “Amar Bouzouer”, “Le souk”, dans le pur style Mokdadien. C'est-à-dire populaire et populiste à la fois. Ensuite à partir de 1982, il voulut “donner” dans les grands textes. Ce fût à peine grandiloquent. “Ech-chabbi”, et “Salah Eddine El Ayoubi” désarçonnèrent sans vraiment séduire le public traditionnel de la Troupe de Gafsa. 1984. Retour au bon vieux temps avec “El Majnoun n°7” : grand succès populaire, “El Arich” : accueil mitigé. Idem pour “Jouab Msouguar” qui fut la dernière création de la troupe puisqu'en 1993, elle devient le Centre des Arts Dramatiques et Scéniques qui, comme son nom l'indique, est demeuré… un centre.