Un livre édifiant: «Voiles et sel. Culture, foyers et organisation de la migration clandestine en Tunisie» Par Mehdi Mabrouk Partir à l'étranger, en quête d'une nouvelle vie stable, confortable et économiquement meilleure, est le rêve d'un bon nombre des jeunes tunisiens et même des adultes. En chômage ou pratiquant une activité à faible revenu, ces derniers n'hésitent plus à affronter grands risques pour franchir les frontières illégalement, avec un seul espoir rejoindre un pays européen, l'Eldorado. Prêts à tout faire, à sacrifier leur vie, à périr dans la Méditerranée, ces jeunes ne lésinent pas sur les moyens pour quitter le pays natal clandestinement. C'est même un phénomène social qui attire de plus en plus l'attention des sociologues et des chercheurs à l'instar de M. Mehdi Mabrouk, sociologue et professeur universitaire qui vient de publier un livre intitulé « Voiles et sel. Culture, foyers et organisation de la migration clandestine en Tunisie ». Composé de 9 chapitres (276 pages), le livre comporte un ensemble d'articles rédigés depuis 2004. « Il s'agit d'ailleurs de la date de la parution du premier article sur la question », déclare le chercheur. Mais l'idée d'écrire tout un livre sur ce phénomène n'a pas été de pur hasard. En fait, le sociologue est parmi les premiers spécialistes qui se penchent sur le sujet. Un sujet toujours d'actualité brûlante et qui prend avec le temps plusieurs formes et surtout dimensions. Nous entendons de plus en plus parler d'émigration clandestine, des cas de victimes qui ont péri dans la mer…En effet, 917 opérations de « harga », ou émigration clandestine ont été enregistrées au bout de 7 ans (1997-2003), sans compter le nombre des morts. Le phénomène interpelle dans une première phase le sociologue qui considère qu'il fallait l'aborder d'une manière « positiviste ». « C'est-à-dire étudier les déterminants socioéconomiques de la migration clandestine, le profil type des émigrants… », explique le sociologue. Mais « après un certain moment de recherche, je me suis persuadé que cette approche est réductionniste et que le phénomène est plus riche », ajoute M. Mabrouk. « Et sur le plan humain, il ne faut pas le traiter de cette manière », enchaîne le sociologue. A partir d'un moment, le chercheur s'est rendu compte qu'il « devait pousser plus loin, creuser dans les normes, les valeurs et le vécu de ceux qui émigrent clandestinement ». C'est ce qui justifie d'ailleurs le choix de l'intitulé du livre « Voiles et sel. Culture, foyers et organisation de la migration clandestine en Tunisie ». Ce ne sont plus les entités statistiques qui se déplacent dans une mobilité sociale transfrontalière qui intéressent le sociologue. Mais plutôt, les causes du départ, les normes, les valeurs, l'imagination, l'imaginaire, les facteurs qui incitent nos jeunes à risquer leur vie à tout abandonner pour tenter l'aventure. Les foyers En effet, le livre donne une idée pertinente sur le phénomène, ses aspects ainsi que d'autres éléments importants, notamment, les foyers de la migration clandestine dans notre pays et qui sont trois. Le premier « regroupe les régions du Nord-est et le Cap-bon. Elles sont préférées pour leur proximité des côtes italiennes… ». Le deuxième foyer est « connu sous le nom du Grand Sahel : il regroupe les villes du littoral ; Sousse, Monastir, Mahdia et Sfax ». Pour ce qui est du troisième foyer, il « s'étend de la limite de la région de Sfax jusqu'aux frontières maritimes libyennes incluant des villes portuaires importantes notamment Gabès et Djerba », démontre M. Mabrouk tout en décrivant les méthodes utilisées qui sont nombreuses et « ajustées aux spécificités des foyers migratoires. Les plus fréquentes sont l'utilisation des navires marchands, les chalutiers de pêche, les zodiac et les vedettes et le transit terrestre ». D'ailleurs, « le contrôle accru des côtes maritimes tunisiennes a obligé les candidats à imaginer d'autres parcours. Le transit libyen est à l'heure actuelle « la passoire » la plus active… ». Quant au profil type des usagers de ce transit, il ne diffère pas de ceux qui servent d'autres foyers de départ…La tranche la plus importante des personnes arrêtées se situe entre 20 et 28 ans, soit 87 % ». Il faut dire que cette pratique n'est plus limitée aux garçons. Les femmes commencent quant à elles de quitter le pays clandestinement. Six femmes ont été arrêtées en 2008. Quant aux motifs qui poussent nos jeunes à émigrer clandestinement ils ne se résument pas uniquement dans la pauvreté. « Elle n'est pas le seul facteur », nous répond M. Mabrouk. C'est en fait la proximité géographique des zones côtière et la maîtrise des techniques qui font que les jeunes issus de ces régions ont tendance à opter pour cette solution », toujours d'après le sociologue. « La pauvreté c'est le point commun, mais il y a d'autres facteurs qui favorisent l'émigration clandestine ». Sana FARHAT Les 9 chapitres du livre Chapitre I : Le cadre théorique, concepts et paradigmes. Chapitre II : L'obsession sécuritaire ou la chasse au migrant. Chapitre III : La migration clandestine en Tunisie. Chapitre IV : Foyers migratoires et typologie. Chapitre V : Culture et au savoir-faire migratoires. Chapitre VI : Organisations et filières. Chapitre VII : La famille face à la Harga de son fils ; les jeux d'une solidarité contrainte. Chapitre VIII : Frontières, clandestinité et violence. Chapitre IX : « Haregue » ou l'honneur d'un stigmate.