Le Temps : Les spécialistes de santé et de sécurité au travail parlent d'un nouveau concept : les risques émergents. En quoi consistent-ils ? Jean François Caillard : C'est un consensus européen. Les risques se caractérisent par leur nouveauté ou par le fait que leur présence et leurs effets sont en augmentation. A côté des risques émergents, nous pouvons parler également des problèmes émergents. Ils concernent les nouvelles formes de travail. En effet, ce qui focalise l'attension aujourd'hui, c'est tout ce qui tourne autour de la nanotechnologie et de nanomatériaux. Là il y a une inquiétude dans le futur pour ceux qui travailleront dans le secteur et ceux qui utiliseront ces technologies de pointe, notamment dans le domaine thérapeutique. C'est l'un des grands sujets, et il y a une mobilisation mondiale avec insuffisance de moyens, pour le moment, sur la recherche des effets biologiques avec des seuils de détection si faibles que possibles. Il faut être vigilant à toutes les publications qui sortent et assurer une veille scientifique pour être capable de conseiller les autorités publiques. Un deuxième sujet, qui fait en France l'objet de beaucoup de polémique et dans le monde aussi, les champs magnétiques. Il s'agit de l'utilisation des téléphones mobiles et aussi les autres formes de magnétisation des environnements de vie et de travail, dont on n'a pour le moment pas assez d'indices pour dire qu'ils ont des effets indésirables. A côté de ces deux grands risques, il y a les nouvelles formes d'organisation de travail qui résultent de l'ensemble des nouvelles technologies, mais aussi des nouvelles organisations de travail qui sont liées à la mondialisation, la rapidité de transfert de l'information, y compris la mobilité des salariés qui voyagent d'un pays à l'autre. Conséquence, des nouvelles formes d'épidémies dont les troubles musculo-squelettiques. C'est une épidémie mondiale qui est due au fait qu'il y a une intensification du rythme de travail qui ne permet plus une récupération physiologique de l'appareil musculo-tendineux et ostéo-articulaire. Cela peut provoquer à long terme des incapacités sévères. Et puis il y a une nouvelle épidémie très importante, celle des risques psychosociaux qui se traduisent par le stress, la pression voire les suicides. Cela veut dire que les risques émergents ne sont pas extrêmement nouveaux, mais qu'ils prennent une importance considérable. Il y a aussi une autre forme de risque émergent, les fibres courtes qui sont capables d'avoir un effet cancérogène alors qu'elles n'étaient pas comptabilisées habituellement. Voilà alors un risque émergent qui est un vieux risque mais que l'on regarde avec un œil nouveau. Faut-il que ça soit une priorité pour les pays en voie de développement où l'on enregistre des accidents mortels ? La priorité c'est la prévention. Je pense que dans un pays comme la Tunisie qui a largement développé le système de prévention et de sécurité professionnelle, il ne faut pas que l'arbre cache la forêt. Je pense qu'il ne faut pas considérer les risques émergents prioritaires alors que la prévention des autres risques n'a pas été convenablement assurée sur l'ensemble du territoire. Mais il n'empêche qu'il faut garder une vigilance sur la question et s'alerter soi même dans son propre pays.