A l'Espace Com'Art, consacré aux activités culturelles de la maison mère, la rencontre avec les nouveaux récipiendaires des prix littéraires « Comar d'Or 2010 », a eu lieu cette année un peu plus tôt que de coutume. A savoir trois jours après la cérémonie de remise des prix au Théâtre Municipal de Tunis. Ce qui aura eu l'heureux avantage, de permettre notamment au public présent, -entre romanciers, universitaires, médias et membres du jury français et arabe- de ne pas rater le passage, dans nos murs, avant qu'il ne s'envole vers d'autres cieux, de Fawzi Mellah, dont le roman « Le transfert des cendres », a obtenu le « Comar d'Or », haut la main, avec cette histoire extraordinaire d'un manuscrit volé dans un monastère au désert de Sinaï, par un théologien allemand, lequel s'en débarrassa très vite à l'époque en le vendant aux russes, parce qu'il lui brûlait les mains. Lequel manuscrit échoua finalement au « British Muséum », à l'abri de tous les regards, car il pose un sérieux problème… Sans pour autant déflorer l'intrigue de ce récit passionnant mené de main de maître par son auteur, qui s'y connaît dans l'art de cultiver le suspens jusqu'à son point le plus culminant, laissant de surcroît le lecteur sur sa faim après lui avoir ouvert une brèche sur un univers dont il ignore quasi tous les codes d'accès, précisons que le romancier, boute-en-train insoupçonnable, qui en a profité pour mener l'assemblée en bateau, en racontant à sa manière, mi-figue mi-raisin, la genèse de son œuvre, refusant au préalable de se raconter, sauf par le biais de son roman qu'il imbrique à un réel qu'il tisse à sa convenance, donne la preuve s'il en est, qu'il est aussi bien, bon écrivain que conteur. Ce qui fait qu'on l'écoute tout comme on le lit avec plaisir, et avec une curiosité attisée à mesure, parce qu'il possède le don de parsemer sa trajectoire de cailloux de « Petit Poucet » qui mèneront le lecteur, là où il veut qu'il aboutisse : quelque part du côté d'une « Trinité » qui serait à (re)considérer. Et ce n'est pas une mince affaire ! Pour autant, Fawzi Mellah qui tint à préciser au début de son intervention qu'il refusait de se livrer pour qu'on le lise, la biographie d'un auteur ne devant pas interférer avec le contenu d'un roman, quel qu'il soit, s'amusa à noyer le poisson avec beaucoup d'humour, avant de narrer son aventure qui l'a conduite à découvrir l'existence de ce précieux manuscrit dont on comprend qu'il puisse titiller la verve de quiconque l'obligeant à arpenter à rebours, le chemin des pèlerins… L'enjeu, comme le livre, en vaut largement la chandelle. Autres temps autres lieux, le « Comar d'Or » en arabe, décerné au romancier Noureddine Aloui pour « Tafassilon Saghiraton », s'inscrit de plain-pied dans la réalité de son pays, avec son personnage principal qui a envie d'en découdre avec ce qui fait mal aux entournures, et qui n'y arrive pas tout à fait, ayant « chopé » au passage, le fameux virus de la « nausée » façon Sartre, et y a évidemment laissé des plumes. Heureux et comme sur des nuages, l'auteur, ayant signé par ailleurs un autre roman : « Fi Biladi El Had El Adna », également présenté en compétition, était venu accompagné de l'immense Taoufik Baccar, qui dirige depuis plus de trente ans, la prestigieuse collection « Ouyoun Mouaasira », et qui a publié « Tafassilon… ». Il dira sa fierté d'avoir pu mener à terme son roman, s'y étant investi pendant neuf ans, presque l'âge de son fils, sans s'attendre aucunement à être récompensé pour un travail d'écriture, éprouvant, mais qui lui aura apporté beaucoup de satisfaction. Et qui lui aura surtout donné, l'envie de continuer sur sa lancée, conforté en cela par les encouragements de Taoufik Baccar, et du prix Comar d'Or. Taoufik Baccar en profitera pour sa part, pour adresser ses félicitations à Rachid Ben Jemia, lequel au sein de l'entreprise d'Assurance qu'il dirige, encourage, depuis bientôt quinze ans, le roman tunisien, de la plus belle manière qu'il soit, à travers la création de ce prix qui a largement acquis ses lettres de noblesse. On en veut pour preuve la floraison de cette année, avec ces 27 romans en arabe et 17 dans la langue de Molière. La qualité, allant le plus souvent de pair avec la quantité, si l'on en croit le témoignage de Zahia Jouirou, membre du jury en arabe, qui évoquera son émerveillement devant certaines œuvres, dont celle de Noureddine Aloui, et de Amor Ben Salem : « Marouane Fi Biladi El Jen », écrite avec une langue ciselée et pure comme du cristal de roche. De son côté, avec gouaille et bonheur, notre collègue de la Presse, Soufiane Ben Farhat, racontera son « Regard du loup » (Prix Découvertes 2010) et sa rencontre avec une jeune fille qui aimait les amandes et qui cherchait à trouver quelqu'un qui puisse lui acheter (une télévision). « Pour Ramadan » aurait-elle précisé. C'est de là qu'est parti son périple en écriture, où Hammam-Lif, tout autant que le centre de Tunis, occupent une place à part entière dans le déroulement du récit. Et ne vous étonnez pas d'y retrouver « Kali » (Khaled Tebourbi himself), lequel a inspiré ce personnage décalé, à travers le clin-d'œil à lui adressé par Soufiane Ben Farhat. Non moins heureux était Mohamed Bouamoud, qui cache sa joie parce qu'il est très pudique, mais qui a signé coup sur coup, deux petits romans, enlevés, passionnés, et particulièrement touchants, tous deux récompensés par un prix « Comar » : « Visages » en 2009, et « Les années de la honte » pour cette présente session. Récit qui a démarré par un déclic, suite à la découverte d'une petite information, relatant un chapitre ignoré de l'entre deux guerres en Tunisie, avec la présence des Allemands sur notre sol, avant qu'ils ne perdent la guerre. « Les années de la honte » est vif et prenant, mais distille une sourde mélancolie. On le lit, et il ne nous quitte plus… Alors à l'année prochaine !