L'exposition, organisée par l'Orangerie et le musée d'Orsay rassemble une sélection de 26 œuvres de Paul Klee (1879-1940) le poète peintre comme il aimait à se désigner lui même. 17 proviennent de la Fondation Beyeler. L'abondance des œuvres de Klee, plus de dix mille, et la diversité des styles dans lesquels il s'est exprimé rendent malaisée l'organisation de grandes rétrospectives. La dernière à s'être tenue à Paris date de 1985. Avec ces 26 œuvres, l'Orangerie propose d'éclairer trois étapes du travail de l'artiste : la période de la première guerre mondiale, les années d'enseignement au Bauhaus (1920-1933), et enfin le retour en Suisse (1933-1940). Elle permet d'appréhender l'itinéraire créatif de ce peintre pour qui l'art ne reproduit pas le visible, il rend visible. Le galeriste Ernst Beyeler s'est intéressé tôt au travail de Klee, attiré particulièrement par les dimensions poétiques et musicales de ses recherches. Il achète des dessins et des peintures à partir des années 1950, en privilégiant les compositions de la dernière période. L'exposition est riche en informations biographiques et en documents d'époque. Elle témoigne aussi du regard rigoureux du collectionneur. En avril 1914, Paul Klee entreprend un voyage à Tunis avec deux artistes amis, August Macke et Louis Moilliet. Ils visitent ensuite Carthage, Hammamet et Kairouan. Au contact des peintres du groupe "Der blaue Reiter", de Kandinsky et des cubistes P. Klee avait déjà commencé à s'affranchir des contraintes de la ressemblance et à libérer sa ligne. Cependant, lumière et couleur, réduites souvent aux effets monochromes, n'avaient jusqu'alors qu'une place mineure dans ses créations. Le séjour en Tunisie consacre la rencontre déterminante de Klee et du lyrisme de la couleur : le 16 avril, il note dans son journal : J'abandonne maintenant le travail. L'ambiance me pénètre avec tant de douceur que sans plus y mettre de zèle, il se fait en moi de plus en plus d'assurance. La couleur me tient. Point n'est besoin de chercher à la saisir. Elle me possède, je le sais. Voilà le sens du moment heureux: la couleur et moi sommes un. Je suis peintre. Klee est mobilisé jusqu'en 1918. Il a gagné en notoriété mais la guerre a décimé le cercle des amis et a entravé son travail. En 1921, Klee est invité à enseigner la technique picturale au Bauhaus, l'école d'architecture et d'arts décoratifs fondée par Walter Gropius, à Weimar. Les élèves le surnomment le Bouddha. La période correspond à une nouvelle expression : les couleurs interviennent en raison de leurs vibrations, avec des motifs simplifiés, oiseaux, arbres, lunes, cœurs. Les toiles sont des paysages intimes. La géométrie se marie à l'imaginaire. Devenu professeur à l'Académie de Düsseldorf en 1931, Klee est destitué de son poste deux ans plus tard par les nazis qui jugent son art dégénéré. Klee malade s'exile alors à Berne. Il abandonne les transparences subtiles et se tourne vers un style plus âpre, des fonds colorés rythmés par de puissantes lignes brunes et noires. Le dialogue avec le monde a changé de ton, l'ironie s'est teintée de chagrin et de tragique. Il y a de l'à propos à avoir accroché ces quelques toiles de Paul Klee dans l'ancienne orangerie du jardin des Tuileries. L'esprit des lieux suggestif des senteurs et des tonalités de Méditerranée s'accorde à la peinture vivante, presque organique de Klee. Le génie de Paul Klee, souvent associé à l'expressionnisme, au cubisme ou au surréalisme, réside moins dans la multiplicité de ses sources, de ses thèmes d'inspiration et de ses formes que dans l'obstination naïve à célébrer le monde fragile. Un jour, l'institutrice emmène les enfants dessiner le paysage, à la campagne. Après le pique-nique, elle les assoit face à un aqueduc. Ils dessinent tous un aqueduc. Sauf un qui dessine un aqueduc auquel il a mis des chaussures, à chaque pilier. Comme ça le monument pourra aller se promener. Cet enfant, c'est Paul Klee, 6 ans. * jusqu'au 19 juillet