Entre Nation et Porte Dauphine, les passagers de la ligne 2 du métro parisien peuvent voir, à la hauteur du boulevard Magenta, un vieux bâtiment décrépi de style néo-égyptien. Il s'agit du cinéma Louxor dont la ville vient de décider la réhabilitation en salles d'Art et Essai tournées vers les cinémas du sud . Le Louxor a été mis en chantier en 1920 à la place d'un immeuble haussmanien. Il est l'œuvre de l'architecte André Zipcy et du céramiste Tibéri. Depuis longtemps, des palissades de travaux ne laissaient apparaître que quelques mosaïques multicolores sur des murs sales et l'inscription fatiguée "Louxor Palais du cinéma". L'intérieur abrite un trésor de mosaïques, de stucs et de staffs, de fresques de pharaons, de soleils ailés, de scarabées et de cobras, de motifs floraux ou de faux-marbres en ton lapis lazzuli, bleu cobalt, noir et or. Il ne reste guère d'exemple à Paris de la vague de constructions qui a accompagné le développement du cinéma à cette époque où il était encore muet. La plupart des salles de quartiers ont disparu et aucune des grandes salles anciennes ne subsiste dans l'état initial. Le Gaumont Palace, qui offrait 6 000 places, a été remplacé par un magasin de bricolage et deux hôtels. La chance du Louxor aura sans doute d'avoir été peu modernisé et, même, laissé à l'abandon. Cette salle de mille deux cents places qui était une des plus luxueuse de Paris a eu plusieurs vies. On y donnait Méliès, Renoir et les films noirs américains. A l'occasion, elle devenait salle de concert : Dizzy Gillespie s'y est produit après guerre. Dans les années 60, le Louxor, comme bien d'autres subit les conséquences du déclin de fréquentation. Il s'ouvre à une nouvelle programmation et met à l'affiche des productions hindi ou égyptiennes. Il n'est d'ailleurs pas le premier à montrer des productions autres qu'occidentales. Non loin, dans la courte rue de la Fidélité, la petite salle du Fidélio projetait déjà des films arabes. Le Louxor est exploité jusqu'en 1983, puis vendu à la Société des Magasins Tati. Il reste inutilisé à l'exception de deux tentatives pour le transformer en boîtes de nuit. A partir de 1987, il est désaffecté et différents projets urbains le condamnaient à la démolition. Il ne serait pas faux de rattacher l'étonnante décoration du Louxor à une égyptomanie parisienne ancienne et solidement ancrée. Dans le Malade imaginaire, Diafoirus évoque les colosses de Memnon. A la même époque, Lully écrit un opéra sur Isis et les sphinx commencent à protéger les hôtels particuliers. Cagliostro crée à Paris la maçonnerie dite égyptienne. Après la campagne d'Egypte on a vu apparaître la fontaine du Fellah, rue de Sèvres et celle du Palmier, place du Châtelet. Isis, encore elle, devient la patronne de Paris : elle apparaît sur les armes de la capitale et orne l'un des frontons du Louvre. On construit le passage du Caire avec des têtes d'Hathor sur la façade, des colonnes papyriformes et des fresques pseudo hiéroglyphiques. L'architecte Poyet choisit la plaine Monceau pour y placer une pyramide. On en trouve encore au Père Lachaise qui servent de tombeaux à des personnages illustres ou oubliés. Et en rejoignant la Concorde par le jardin des Tuileries on ne peut que passer devant la pyramide de verre d'Ieoh Ming Pei. Mais, à bien y regarder l'originalité du décor du Louxor se détourne d'une tradition d'égyptomanie directement héritée des Lumières. Ses fleurs de lotus penchent vers l'Art nouveau et le carton pâte. En 1917 sort Cleopatra, un film-culte du cinéma muet. C'est un long métrage tourné pour la Fox par J. Gordon Edwards. Il a coûté un demi-million de dollars et mobilisé 2000 figurants. Pendant longtemps, il va rester le prototype du péplum à l'antique. Surtout, il inaugure le règne des vamps avec l'apparition de Theda Bara, une des premières grandes stars du cinéma. Le film est l'un des premiers grands succès internationaux d'Hollywood. Dans le Paris des années folles, le décor à l'égyptienne du Louxor est une part de rêve américain.