En Tunisie, les caisses sociales ayant « déjà annoncé leur premier déficit », selon un expert en fiscalité, une réflexion profonde s'engage sur les sources de financement de ces caisses, comme c'est le cas du colloque récent organisé par la Faculté de Droit de Sfax au cours duquel, l'accent a été mis sur les avantages de la fiscalisation comme moyen idoine de sauvetage, ce qui requiert non moins quelques préalables jugés incontournables à cette alternative. Le point de la situation « L'expression «crise » est devenue, depuis quelques temps collée à la sécurité sociale tunisienne, crise qui s'est dédoublée par une crise économique et financière d'une plus grande envergure traversée par le monde entier », affirme le professeur Mohamed Ksentini, dans sa communication intitulée : Sécurité sociale et fiscalité ». Cette crise, selon lui, s'explique par des choix provenant du paradoxe du système tunisien de la sécurité sociale « qui a des finalités Bevridgiennes mais qui utilise des moyens Bismarkiens ». A cela s'ajoute « la généralisation de la protection sociale, qui est érigée en un véritable service public destiné à la population tout entière. ». Or, d'une part, notre pays est en droit de se prévaloir du meilleur système de retraites du monde, le montant des pensions pouvant atteindre les 90 % des salaires, d'autre part, actuellement ce sont uniquement les ouvriers, les travailleurs indépendants, les professionnels libéraux qui paient leurs cotisations sociales, alors que les prestations de santé par exemple bénéficient à tout le monde. Par ailleurs, il est nécessaire de prendre en compte le phénomène de vieillissement de la population tunisienne qui fait que dans trente ans il y « aura trois actifs pour un retraité, sachant que les trois meilleurs actifs chez nous paient 200 dinars par mois. Actuellement le rapport est de 05 actifs pour un retraité. Il y a deux à trois ans, dans certains secteurs était même de 10 pour 01. » La résultante de tous ces facteurs réunis est l'accroissement de la surcharge pour les caisses en termes de pensions de retraites, surcharges qui sont accentuées par les coûts des prestations de santé. D'après les experts, les perspectives sont d'autant plus inquiétantes que la sécurité sociale en Tunisie est alimentée par une source de financement unique c'est-à-dire les cotisations professionnelles qu'il n'est pas possible d'augmenter dans l'actuel contexte de crise économique. A la lumière de toutes ces données, assez préoccupantes, faut-il l'avouer, et pour ne pas hypothéquer l'avenir de notre sécurité sociale, dont soit dit en passant, la situation n'est pas pire que celles de pays nantis, il est nécessaire de réfléchir à une autre source de financement. D'ailleurs, on assiste, à travers le monde, à un mouvement de diversification de ces ressources : par exemple, l'impôt est devenu un instrument de financement de la sécurité sociale de façon à ce que tout le monde soit associé au dit financement et non pas uniquement les personnes actives. L'option pour le recours à la fiscalisation est à ce propos très séduisante, à condition bien sûr que ce soit la solidarité qui fonde l'impôt, sachant que cette solidarité fait défaut à notre système de sécurité sociale à cause du système actuel des cotisations professionnelles. Cependant, une telle option pose le problème de la faisabilité et requiert le cas échéant des conditions favorables qui doivent se traduire par des réformes. Qu'en est-il de la faisabilité? De l'avis de certains experts, les justifications du recours à la fiscalisation de la sécurité sociale ne manquent pas. Ces justifications ont trait d'abord aux inconvénients et autres imperfections du système actuel de financement, en l'occurrence, les cotisations professionnelles dont les répercussions sont parfois dommageables sur le plan économique et social. Du point de vue économique, certains spécialistes estiment que ce système porte atteinte à la fois au libre jeu de la concurrence et à la compétitivité de l'entreprise considérée malgré tout comme le « véritable contribuable des cotisations sociales en Tunisie». Or, les employeurs, jugeant les prélèvements excessifs recourent à des moyens frauduleux pour se soustraire à leur devoir sous forme de sous déclaration, voire même de non déclaration des salaires et s'abstiennent tout simplement de payer les cotisations dues aux caisses de sécurité sociale. Il y a là bien sûr, de quoi craindre le règne futur de l'informel et de l'illégalité. Sur le plan social, le système des cotisations professionnelles n'est guère de nature à favoriser la promotion de l'emploi, en raison du coût élevé du coin fiscal des salaires. Etant donné toutes les imperfections susmentionnées du système de financement de la sécurité sociale par cotisations professionnelles, la fiscalisation de la sécurité sociale s'impose en tant qu'alternative idoine dans la mesure où elle « allège le poids des charges sociales sur la compétitivité de l'entreprise, élimine les discriminations entre entreprises mécanisées et entreprises de main-d'œuvre, réduit les manœuvres frauduleuses et ne freine pas l'emploi », comme le souligne M. Ksentini. L'option pour un impôt social En matière d'impôts, de l'avis de certains fiscalistes, « le choix du revenu comme matière imposable destinée à l'impôt social semble a priori être faisable en Tunisie. En effet, notre système fiscal comporte déjà un impôt général sur le revenu, dénommé impôt sur le revenu des personnes physiques. Cet impôt présente deux caractéristiques essentielles qui le rendent suffisamment attractif pour l'impôt social. » Encore faut-il, de l'avis d'experts de la fiscalité, , éliminer certains obstacles qui tiennent essentiellement aux éléments d'injustice qui caractérisent l'IR ( impôt sur le revenu) tunisien et qui seront, par la force des choses, transposés à l'impôt social sous forme d'IR bis. Bref, avant même de penser à instituer un impôt social sous forme d'IR bis, il faut au préalable réformer l'impôt sur le revenu, tunisien, pour qu'il soit un impôt juste. C'est le régime forfaitaire qui est pointé du doigt et qui englobe un vaste éventail d'activités. Il est bon de savoir par exemple que même les experts comptables ont le choix de ne pas tenir de comptabilité. D'ailleurs tous les professionnels libéraux, y compris les médecins de libre service peuvent être tous des forfaitaires, d'autre part, 400 mille entreprises sont assujetties au régime forfaitaire, dont au moins les 2/3 sont de faux forfaitaires, c'est-à-dire ayant des chiffres d'affaires très largement supérieurs à 30 mille dinars/an, Or le forfait est libératoire de la TVA, ce qui va enfin de compte permettre à tout ce monde de ne pas s'acquitter de son devoir fiscal, de ne pas tenir de comptabilité et d'aggraver par conséquent les injustices sociales. Le problème c'est que les éventuelles réformes du régime fiscal rencontrent des résistances de la part de certains lobbies. L'option pour la TVA Peut-on alors fiscaliser la sécurité sociale par le biais de la TVA sociale qui n'est pas imposée sur la consommation, donc qui est payée par tout le monde ? Il est vrai que l'augmentation de la TVA risque de provoquer la hausse des prix et de se répercuter négativement sur le pouvoir d'achat. Cependant, du point de vue compétitivité économique, les entreprises tunisiennes ne seraient pas affectées par l'augmentation de la TVA car c'est un impôt juridiquement récupérable, quant à la diminution de la consommation, même si elle est envisageable, elle ne toucherait pas tous les produits. Or, il y a lieu de relever que le recours éventuel à la TVA comme moyen de financement de la sécurité sociale n'est cependant pas sans inconvénients majeurs dans la mesure où les acteurs du commerce parallèle ne s'en acquittent pas. Ainsi, le marché parallèle est en train de nuire à la compétitivité de l'entreprise tunisienne qui travaille normalement dans la transparence, d'autant plus qu'il ne s'acquitte pas de la TVA.