Phénomène de mode. Amplification médiatique. Surenchère dans les débats. La question du voile suscite l'intérêt, soulève des tôlés, dévoile des opinions peu orthodoxes. Mohamed Kerrou, professeur à la Faculté de droit et des sciences politiques de Tunis interroge la question du « re-voilement » des femmes. Adoptant une démarche comparative, l'auteur se situe dans une lecture distanciée du phénomène pour esquisser une compréhension du devenir des femmes musulmanes. De quel voile parle-t-on ? hijâb, voile intégral, burqa, niqâb… autant d'appellations que de débats et une visibilité grandissante qui suscite autant de confusion en Occident, qu'en terre d'Islam. L'ouvrage de Mohamed Kerrou revient sur des définitions qui cadrent son analyse sous la double problématique de l'identité et de la sphère publique. L'auteur parle de « re-voilement » avec tout ce que la notion de retour suppose. Les « nouveaux voiles » sont en rupture avec les voiles traditionnels. Selon l'auteur, ces « nouveaux voiles » ne sont pas islamistes. C'est dans l'excès d'esthétisation de cet habit qui confine l'accessoire de mode, que les femmes mettent en scène leur présence dans l'espace public. En suivant la démarche comparative de l'auteur, la question du voile est à comprendre en rupture avec les cadres nationaux et se doit d'être appréhendée dans une perspective plus large de globalisation. Pour cause, le voile s'inscrit comme révélateur de signes de mondialisation par sa présence ostentatoire aux niveaux des médias de masse. Pas un jour ne passe sans que l'actualité n'épingle un fait relevant du voile. L'auteur, revient à ce titre, sur plusieurs évènements médiatiques qui “collent à la peau des femmes voilées”. Les voiles expriment une visibilité massive, à la limite offensive, qui traduit pour l'auteur, une forme de réappropriation de l'espace public. Cette visibilité « des nouveaux voiles semblent générer trois types de visibilité dans la sphère publique : celle de l'islam en Occident, celle des femmes dans les pays musulmans et celles des musulmanes dans les nouveaux médias ». C'est dire les connotations multiples associés au port du voile. Mais, c'est saisir aussi le rôle déterminant du contexte dans la compréhension et la lecture de ce retour des femmes au port du voile. Car, cette hypothèse de visibilité fondée sur l'argument d'investissement de la sphère publique perd de sa pertinence une fois confrontée à la réalité d'une femme française convertie à l'islam ou encore à une Tunisienne qui n'a pas besoin, à notre sens, de ce subterfuge vestimentaire pour travailler, s'instruire ou tout simplement prendre un café. Par contre, il trouve toute sa légitimité par rapport au contexte et au vécu de la femme iranienne ou saoudienne, où il est possible d'y lire des formes de résistance silencieuse et légitime contre l'oppression dont elles font l'objet. De quelle femme parle-t-on ? Outre la question de visibilité, il y a la question de l'identité des femmes voilées. Est-il question d'identité forte et structurée ? Ou au contraire d'identités incertaines et indécises ? Bien que l'auteur affirme que le « re-voilement participe à la fois à une reconquête identitaire opérée au sein de sociétés en pleine mutation et d'une politique de protestation contre l'ordre dominant à l'échelle nationale et internationale », les réponses restent incertaines parce que revenant souvent sur des définitions théoriques. Les éléments de réponse empirique cités par l'auteur insistent encore une fois sur la nécessité de circonscrire aux contextes d'analyse des questions aussi larges et ouvertes. Pour Mohamed Kerrou, le re-voilement des femmes répond plus à un besoin identitaire fort et à une quête de repères. Mais, est-ce que les femmes non voilées ne sont pas semblables aux femmes voilées dans cette quête ? Lire les signes du voile, écouter les femmes voilées sont dans la logique d'une compréhension sereine de ce phénomène. Mais, est-il possible de mener cette réflexion sans souligner qu'il y a dans ces accoutrements une forme violente de négation, non seulement de l'identité de la femme, mais de son être, de son corps ? Faten AOUADI (*) Hijâb : nouveaux voiles et espaces publics. Tunis : Cérès Editions, 204 p., 2010