Les Français viennent d'élire leur nouveau président pour les cinq prochaines années. Il s'agit de l'ultra libéral Nicolas Sarkozy, 52 ans, ancien ministre des Finances puis de l'Intérieur, qui prendra officiellement ses fonctions le 16 mai. Cet avocat d'affaires, véritable bête politique, est monté à la plus haute marche du pouvoir dans l'Hexagone, en coiffant au poteau tous les poids lourds de la scène politique française, alliés et adversaires compris, dont certains s'y croyaient déjà. Son élection, à une large majorité, est la consécration d'un parcours politique en dents de scie, ponctué de retournements d'alliances, de disgrâces, de traversées du désert et de come back tonitruants. L'homme, qui ne manque ni de ruse ni de bagou, a su faire son miel de tous les populismes, chassant sur les terres de l'extrême droite lepéniste, agitant les thèmes de la sécurité, de l'immigration et de l'identité nationale, assénant «La France, on l'aime ou on la quitte» et surfant sur les imageries du racisme ordinaire aux relents xénophobes: «le mouton qu'on égorge dans son appartement», «la loi des grands frères», «la racaille des banlieues», et autres amabilités qui n'ont pas manqué de dresser contre lui, outre les gamins des banlieues, toute la France bien-pensante. Ancien maire de Neuilly, quartier huppé où habite la fine fleur du patronat français, Sarkozy a su gagner aussi le soutien, sonnant et trébuchant, des grands argentiers de l'Hexagone, qui sont en droit d'attendre maintenant quelque renvoi d'ascenseur sous formes de baisse des charges fiscales, de nouvelles lois pour plus de flexibilité de travail et autres cadeaux bien mérités. Il a su également s'attirer les faveurs des grands médias nationaux, où il compte de nombreux amis et obligés qu'il se plait à tutoyer à tout bout de champ. En multipliant, par ailleurs, les appels du pied en direction d'Israël, l'enfant d'immigré juif hongrois a su forcer l'estime des leaders de la communauté juive française, dont le cœur bat habituellement à gauche. Déjà immortalisé dans un timbre édité par la poste israélienne, Sarkozy a effectué plusieurs voyages en Israël, où il se targue de nombreuses amitiés, dont celle du faucon Benjamin Netanyahou. Les juifs de France et d'Israël n'ont pas été insensibles au fait qu'il n'a jamais foulé les territoires palestiniens. Ni à son soutien appuyé à l'Etat hébreu en pleine guerre contre le Liban, pays pourtant considéré comme ami et protégé de la France. Les Palestiniens ont donc de bonnes raisons de s'inquiéter de l'arrivée à l'Elysée d'un homme qui affiche si ostensiblement ses affinités avec Tel Aviv et Washington. Et même si la plupart des spécialistes excluent tout changement des engagements du Quai d'Orsay sur le Proche-Orient, Sarkozy présente, aux yeux des Arabes en général et des Maghrébins en particulier, les traits du parfait ennemi. Cette réputation d'«anti-arabe» n'est pas surfaite ni imméritée. Et si ça ne tiendrait qu'à lui, Sarkozy la revendiquerait volontiers. Ce ne sont pas là, on s'en doute, les considérations qui ont le plus pesé dans son élection. La majorité des Français qui lui ont accordé leur suffrage attribuent au nouveau locataire de l'Elysée un certain nombre de qualités, dont l'expérience, la jeunesse et l'audace politique ne sont pas les moindres. Car, bien qu'il ait été associé au pouvoir depuis au moins une vingtaine d'années, Sarkozy offre à ses compatriotes, on ne sait par quel tour de passe-passe, l'image d'un homme nouveau. Sa «jeunesse» - il n'a «que» 52 ans - plaide également pour lui. Et même si beaucoup de Français trouvent ses manières quelque peu brutales, sa volonté de changer la France semble bien réelle. Mais de brutalité, il en faudrait peut-être un peu pour secouer de sa torpeur un vieux pays qui s'agrippe à son «modèle social», rejette l'Europe et craint la mondialisation. Cette France ringarde, repliée sur elle-même, geignarde à souhait et rechignant à se mettre en ordre de marche, a besoin aujourd'hui d'une véritable rupture, d'un électrochoc ou d'un coup de pied dans la fourmilière. En étant nombreux à donner leurs voix, au premier tour, au candidat centriste François Bayrou, et en votant massivement, au second tour, pour Sarkozy, les Français ont peut-être voulu exprimer ce besoin de changement de manière encore plus radicale. Ou ça passe, cette fois, ou ça casse pour toujours... Quant à nous Tunisiens, dont l'essentiel des échanges se fait avec la France, ne devrions-nous pas applaudir tout changement dans ce pays, qui y relancerait la croissance, créerait des emplois et augmenterait le pouvoir d'achat des citoyens ? Un regain de dynamisme en France n'aurait que des effets bénéfiques sur notre économie avec, notamment, un afflux d'investissements et de touristes, et, peut-être aussi, un appel d'immigrés... choisis.