Elle aura ému dix millions de Tunisiens. Elle a donné aussi la pleine mesure de l'intensité dont est capable l'émotion populaire. La turbulence joyeuse à Bab Souika au retour du bébé auprès de ses parents, l'impact médiatique, les quarante mille Facebookers s'érigeant en association (de fait) de « recherche pour l'intérêt des familles » : tout cela prouve que notre société est dynamique ; qu'elle bouge ; que les enlèvements – quoique statistiquement dérisoires – peuvent survenir mais que, surtout, nos unités de police et de la Garde nationale sont d'une perspicacité infaillible. Cette affaire relance aussi le grand débat autour de la capacité mobilisatrice du concept de la téléréalité. Une image réelle, forcément pathétique, imploratrice, déclenche instantanément la compassion auprès des téléspectateurs. Ceux-ci, du moins les téléspectateurs tunisiens, savent néanmoins faire la part des choses, distinguer entre la rhétorique du pathétique et l'énergie du désespoir ; entre les artifices du populisme éhonté et la souffrance dans la dignité. En un mot, entre la recherche mécanique de l'audimat - qui rapporte gros ! – et l'élan purement humaniste qui marque les âmes bien nées. La télévision, machine qui, habituellement, broie tout sur son passage ou qui, au contraire, fait dans la langue de bois, se redécouvre ainsi une vocation sociale grâce à la téléréalité. Le concept est importé, c'est un fait. Et nous voyons que nos chaînes rivalisent à mieux mieux pour y exceller. Peut-être bien que s'opérera un jour un glissement de vocation – après que tous les concepts eussent été épuisés et galvaudés – de la « télé-réalité » vers la « réalitétélé »… En attendant, gare à trop instrumentaliser Sarra. Oui, Hannibal a révélé l'affaire. Le voisin « curieux » de la ravisseuse a eu le réflexe et le courage d'alerter les autorités. Et celles-ci, comme toujours, dans un pays aussi sécurisé que le nôtre ont agi avec précision et célérité. Des histoires comme celles-ci on en regarde tous les jours sur les chaînes étrangères et surtout américaines. Mais la fiction l'emporte sur la véracité des faits. Car les chiffres : cinq enlèvements d'enfants chaque seconde de par le monde, prouvent que les mécanismes sécuritaires et les méthodes d'investigation s'effilochent alors que l'exacerbation de l'individualisme font que personne n'ose dénoncer quelque chose d'étrange et de criminel à deux mètres de chez lui. Ce ne sera jamais le cas chez nous. Car cette affaire Sarra symbolise une forme de citoyenneté : médias, citoyens, différentes structures de sécurité. Et cela veut dire aussi qu'il n'y a pas de tabous et non-dits épidermiques. Par ricochet, les imbéciles qui ont créé, il y a plus d'un an, un mouvement de panique faisant croire qu'il y avait une vague d'enlèvements d'enfants, pourront écrire des scenarii pour les séries ramadanesques. Car la réalité, c'est l'innocence de Sarra, la pathologie psychopathe de la ravisseuse, ainsi bien sûr que le désarroi des parents qui l'ont écrite pour l'avoir vécue…