« Au fin fond de mes os, je découvre que je suis un bâtard, un illégitime, ni d'un monde, ni d'un autre » Mustapha Tlili, La rage aux tripes Exil, errance initiatique, altération culturelle, un moi au noyau éclaté ; tout un vocable placé sous le signe de la souffrance, un itinéraire qui n'est pas sans trahir une angoisse, celle de la relation à l'autre et à sa culture. Altérité qui engendre ce sentiment de perte de l'intégrité et tout ce qui s'en suit de phénomènes de dépossession comme lieux de gestation de l'interculturalité, une zone d'incertitudes et de doutes où l'identité est mise à rude épreuve, voici le credo qui a constitué le cheval de Troie de bien des auteurs. Ne peut-on donc pas concevoir un rapport à l'autre, à sa langue et à sa culture autrement que noyé dans les déboires de l'adversité et ailleurs que dans un enfermement entêté sur soi ? Certes l'écriture est la seule apte à dompter les affres de ce moi jeté dans le gouffre existentiel du : Qui suis-je. Pourtant cela est loin d'être aussi simple, la question des langues dans la littérature maghrébine de langue française est d'un enjeu crucial. Rappelons d'abord que cette littérature a été véhiculée par un double mouvement, contradictoire ; Le français, langue de l'ancien colon, symbole de la dépersonnalisation culturelle, langue aussi reflétant pour beaucoup l'image toujours vivante de l'aliénation du moi à la culture, mais paradoxalement langue dans laquelle les plus grands auteurs de notre temps ont décidé d'écrire car perçue comme le seul outil capable de dénoncer les injustices passées, de propager les idées révolutionnaires d'une société en pleine gestation et tout à la fois de s'ouvrir à l'autre par une fente qui permet d'accueillir la différence sans renier son identité, être en interaction continuelle avec l'autre. Souvenez-vous de la célèbre phrase de Kateb Yacine, devenue depuis une référence, qui décrivait la langue française comme « un butin de guerre », or cette phrase ne doit plus faire école dés lors qu'elle entretient cette perception du refus constant de l'autre comme négation de soi, et désormais, nous aimons à le croire, nous voilà en plein dans une apologie de l'aimance et du décloisonnement des frontières, développant par le moyen de la langue un dialogue permanent des cultures, plus composite ; nous arrivons enfin et peu à peu à dépasser cette littérature qui se contenterait de dépeindre des paysages exotiques prétextant les attentes des lecteurs européens à l'affût de l'image traditionnellement décrite de l'orient mythique de Baudelaire, image que la tradition orientale a contribué à diffuser à partir de la traduction par Galland au XVIIIe siècle des Mille et une nuits, ou encore exploiter les récits de guerre, aussi douloureuse que cela a pu être et aussi vivante que l'image subsiste, on arrive à verser dans le poétique en transcendant l'historique pour faire de notre écriture une écriture subversive qui épouse la différence tout en conservant la nôtre. La littérature comme présent de partage et d'aimance conjurant l'ethnocentrisme et consacrant la reconnaissance de l'identité justement par l'altérité, n'est plus une chimère, c'est une réalité.