Dans le cadre des semaines allemandes en Tunisie, l'Ambassade d'Allemagne et le Goethe-Institut München présentent depuis le 30 septembre et jusqu'au 28 octobre, en partenariat avec la Municipalité de Tunis, les œuvres photographiques et cinématographiques de l'artiste allemande contemporaine de renommée internationale, Ulrike Ottinger. L'occasion d'aiguiser l'échange culturel entre nos deux pays et d'enrichir nos connaissances artistiques au-delà des frontières. Quand on s'aventure dans les dédales de l'exposition du Palais Kheireddine, on en sort rarement indemne. On y entre curieux, on s'y promène étonné et on part nanti d'un nouveau regard. Ulrike Ottinger arrive à capter le sourire d'un regard et la parole des corps qui défilent. La photographie dépasse ainsi les dimensions du cadre et nous fait pénétrer dans l'univers atypique et décalé d'une artiste à l'esthétique singulière et fascinante. L'exposition est organisée en thèmes et séries articulés sur six volets ; regards pluriels sur des sujets de prédilection tirant leur force de leur apparente trivialité. Les photographies, dont la majeure partie est tirée des films de la cinéaste, présentent les différentes facettes de la vie, facettes qu'aucun lien apparent ne semble lier à part cette insatiable curiosité pour les civilisations, les traditions populaires, les paysages…Cette manière de figer un instant furtif révèle son désir de dépasser le monde des apparences pour donner au monde intérieur, celui des états d' âme, un équivalent plastique. De salle en salle, on suit les pérégrinations de la photographe, et cela commence avec la série « En Face », la première chose notable de cet ensemble divisé en deux parties est cette quête de lumière qu'elle saisit avec brio. D'un côté, des portraits en noir et blanc et de l'autre, en couleur. On y sent l'acharnement à capter la lumière naturelle dans le détail notamment grâce aux contrastes élémentaires des ombres en mouvement. Les réfractions, diffractions, reflets et flous procèdent d'une répartition minutieusement étudiée. Fluidité d'une vision qui coule et se faufile à travers l'ombre pour traduire une émotion procédant à une fouille minutieuse des traits du visage. Pour la deuxième partie, c'est à travers la couleur que l'expression prend forme, œuvres aux couleurs bariolées, basculant vers une gamme chromatique plus riche. Ulrike Ottinger accentue et décompose sa palette avec une hardiesse sans égale, exaltant les vibrations de la lumière. Les volets suivants mettent à l'honneur la « Vie quotidienne », la « Mongolie » et « Marché ». Ces photographies obéissent à des exigences plus symboliques que chromatiques. La passion de la réalisatrice pour l'ethnologie et le voyage joue un rôle crucial. De la Taiga à la Corée du Sud, en passant par Shangaï, Ulrike Ottinger arpente le monde entier à la rencontre de visages et de paysages, accouchant d'une poétique de l'ailleurs marquée par sa multi culturalité. La force suggestive et la nature intime des scènes se conjuguent avec la sensation d'une immersion dans un monde parallèle où le temps n'a plus la même signification et où la photo naît de la force poétique du regard qui prend le temps de voir et de partager tout un univers visuel fait de traditions, de rituels et de sensations étranges, mélange de malaise et de plaisir à se voir plonger dans un monde autre si loin et pourtant si proche. Ulrike Ottinger parvient très bien à restituer tout le caractère dense et cathartique d'un lieu fascinant. Peu à peu et au gré des divagations de l'artiste, les scènes, les couleurs et les personnages abandonnent la réalité dans la série « Theatrum Sacrum » . L'ensemble est mystérieux et poétique, merveilleusement irréel. Des images qui perturbent par l'énigme qu'elles recèlent . On est séduit par ce mélange de théâtralité assumée et de fantaisie distinguée, un mélange qui évoque et qui nous fait penser au courant surréaliste avec tout ce que cela implique de fantastique, d'absurde et d'excentrique. La combinaison d'objets incongrus et la juxtaposition d'images inédites surprennent et intriguent mais l'œuvre n'est pas vaine. L'agencement produit une œuvre significative. Le menu frémissement de l'espace dans la série architecture atteint le maximum de la richesse, espace ou courbes, lignes et ondulations se répartissent régis par un équilibre que seul l'œil subjectif du photographe perçoit d'un angle différent à chaque fois. La parole est cédée aux images. Les photos qui nous parlent s'adressent au cœur en un langage universel : celui de l'émotion. Tout reste encore à découvrir des photographies de cette artiste qui brise les conventions, disloque les constructions réalistes et dévie des sentiers battus versant dans l'ambiguïté, mêlant à la fois confidence et démonstration. L'extraordinaire sensibilité visuelle s'accorde avec un équilibre parfait. Accord instinctif entre audace et contrôle, sensibilité et force. Occasion aussi de rapprocher Arts Plastiques et cinéma puisque pendant la durée de l'exposition, trois films de l'artiste seront projetés sur place.