De la Toile au grand écran. De Harvard à Hollywood, en passant par la Silicon Valley. Un film sur la genèse du réseau social le plus révolutionnaire, inventé par un génie asocial. Six ans après la création de Facebook, alors appelé The Facebook, deux grandes figures du cinéma américain se penchent sur le cas d'un personnage adulé mais méconnu ; David Fincher (réalisateur, entre autres, de «Seven» et de «L'Etrange histoire de Benjamin Button») et Aaron Sorkin (scénariste de «La Guerre selon Charlie Winston» et créateur de la série «À la maison blanche») décortiquent le profil psychologique de Mark Zuckerberg au fil d'une narration qui va de l'époque où le brillant étudiant de Harvard se lance dans la création d'un nouveau concept de réseau social pour son université, à celle où il se retrouve dans deux confrontations juridiques où il risque de laisser des dollars. Le duo Fincher-Sorkin préfère bâtir son film sur une narration aléatoire qui fourvoie le spectateur au début et finit par l'orienter vers le véritable esprit du projet, voire de l'entreprise Facebook elle-même : ce n'est guère le conte de fées que des millions d'inscrits à travers le monde, amis imaginaires de Zuckerberg, pourraient imaginer. C'est bien l'histoire d'une solitude, d'un désenchantement, d'une perte. Le schéma, comme l'issue, est clair dès le début : Zuckerberg-avant-Facebook se fait plaquer par sa copine, et Zuckerberg-durant-Facebook doublement traduit en justice. Car l'ensemble du scénario est structuré autour de deux confrontations juridiques (qui déboucheront sur des procès que nous ne verrons pas) pour mettre à jour, selon les points de vue de chacune des parties, aussi bien les rouages et les secrets de la création du site que la complexité de son créateur.
Un cas de solitude
Magistralement joué par le jeune Jesse Eisenberg, à la plastique inexpressive et à la limite effrayante, Mark Zuckerberg est cet étudiant de Harvard toujours en t-shirt et en tongs (y compris en hiver, avec des chaussettes) et qui, dans un bar, semble vouloir s'évertuer d'arrogance pour que sa petite amie rompe avec lui. Dans la même soirée, Mark trempe sa colère dans l'alcool, d'abord, ensuite dans son blog où il révèle les mensurations de la fille, et, enfin, dans la création d'un site intranet où les étudiants de Harvard peuvent faire un classement de leurs collègues féminines. À la suite de cela, les jumeaux Winklevoss, au sommet de l'Himalaya élitaire de Harvard, lui proposent de créer un réseau social pour l'université… Le génie aux allures d'autiste les dépasse en ruse et en intelligence : il crée The Facebook, sans eux. Voilà donc la première plainte. La seconde viendra de son meilleur ami, Eduardo Saverin (Andrew Garfield), gestionnaire du site et qui finance lui-même l'entreprise ; quand le site tombe dans la Silicon Valley, l'ami, avec l'accord tacite de Mark, est évincé et disparaît de l'historique de la fondation du site. Fincher ne révèle pas le fonctionnement technique du site, alors réservé aux universités (d'abord celle des Etats-Unis, ensuite d'Angleterre, etc.), mais la germination, voire l'explosion d'une idée qui a continué de s'étendre… Une sorte de Big Bang qui emporte tout sur son passage, selon des lois supposées hasardeuses, mais qui sont bien définies, mûrement réfléchies. Dès que Sean Parker (créateur en faillite du site de partage de musique Napster, interprété par Justin Timberlake) entre en jeu, dès qu'il propose d'enlever le «The» de «The Facebook», le monde d'Eduardo s'ébranle et le projet change de mains… vers des mains de plus en plus grandes, puissantes et remplies. Oui, c'est aussi bien l'histoire du meilleur ami floué que celle du seul cofondateur dont l'Histoire retiendra le nom, et qui donne l'impression de se transformer au fil de l'aventure… Mais, en réalité, il reste fidèle à lui-même, à ses principes. Bien qu'il passe pour un génie sans scrupules, perverti par les lois du marché et les paillettes. Il refuse de monétiser le site. Il se passe des gens qui pourraient l'asservir (les jumeaux) alors qu'il est plus génial qu'eux. Il se débarrasse de ceux dont le dévouement pourrait causer préjudice au projet (Eduardo). Et il veut reconquérir la fille à qui il n'a pas présenté ses excuses. La boucle est bouclée. Et la construction de «The social network» s'avère impeccable dans sa déconstruction, tant le scénario est cousu de fil blanc. L'immersion parmi ces étudiants de Harvard le long de leur ascension – ou de leur chute – est totale, presque jouissive, grâce à des dialogues d'une rare authenticité, bien placés, enchaînés, sans le moindre trop. Tout cela conjugué à une image à la qualité impressionnante, et à une bande-son comme choisir rien que pour nous, par nous… C'est peut-être cela, aussi, l'illusion de Facebook.