« Il nous reste beaucoup à faire pour que le cinéma arabe et africain occupe la place qu'il mérite. Notre cinéma va mal ». Le constat (ou le diagnostic si l'on s'en tient au vocabulaire clinique de M. Raoul Peck, président de la 23ème édition des J.C.C, qui le formulait en termes crus et guère complaisants) est amer mais réaliste, très réaliste. C'est cette vérité fondamentale que l'on doit retenir en même temps que les noms des films et des cinéastes primés avant-hier, lors de la cérémonie de clôture des Journées Cinématographiques de Carthage 2010. La session ne fit vraiment pas de mécontents ; et l'on y distribua assez de prix pour finalement contenter la majorité de ceux qui espéraient en avoir. La Tunisie, l'Algérie et l'Egypte récoltèrent un nombre satisfaisant de récompenses ; on n'oublia pas le Maroc, le Liban ni bien évidemment la Palestine. L'Afrique « noire » eut aussi sa part de prix. On varia les dénominations des récompenses (Tanit, prix, bourses, mention spéciale) ainsi que les noms des sponsors mais à dire la vérité, les montants que représentaient certains prix nous ont semblé peu généreux : quand on sait pertinemment ce que coûte un simple court-métrage de quelques minutes, on doit offrir des sommes conséquentes à ceux qui, dans les pays pauvres ou émergents, osent encore faire du cinéma. Mais d'un autre côté, l'équipe qui a réalisé le long-métrage égyptien récompensé par le Tanit d'or a démontré que sous nos cieux arabes et africains, il reste encore possible de produire un beau film avec presque rien. Les bons et les mauvais souvenirs Au cours de la soirée de clôture, nous avons apprécié beaucoup de choses et n'en avions pas aimé d'autres : la modestie et la franchise de Raoul Peck nous a plu, le vœu pieux d'Abdelkarim Bahloul, réalisateur du beau « Voyage à Alger », qui rêve encore d'Union maghrébine nous a émus, et nous avons presque partagé l'innocente joie juvénile de Khaled Abou Naja et d'Ahmad Abdallah lorsque leur « Microphone » reçut le Tanit d'or. Il fallait en effet redonner espoir aux jeunes du monde arabe et africain et leur dire « votre voix résonnera un jour plus fort que celle des ondes parasitaires destinées à l'étouffer ! ». L'ensemble Aloès et la chanteuse Alia Sellami nous ont envoûtés et ce n'est pas Lotfi Bouchnaq, présent à la cérémonie, qui nous contredira. L'animation de rue qui précéda la soirée n'était pas décevante même si la musique et les danses auxquelles elle donna lieu nous avaient un peu trop dépaysés. C'est à l'intérieur du Théâtre municipal que l'organisation fut plutôt médiocre : on y répartissait les invités selon, tenez-vous bien, la couleur de la bande ou des bandes inscrites dans un angle de leur carte d'invitation. Il y avait comme un drôle d'apartheid dans la classification des hôtes de la soirée : si au moins les critères de sélection étaient cohérents, on aurait émis moins de réserves sur cette manière de recevoir ses « invités » par ordre de mérite. Un jeune agent d'accueil nous interdit l'entrée au parterre alléguant du prétexte que c'était réservé aux cinéastes alors que juste avant que nous nous présentions, une collègue journaliste passait sans même décliner son identité ni arborer son passe-droit. En ce qui concerne les « invités », il a fallu une heure pour les mettre (et parfois les remettre) chacun à sa place. Certains d'entre eux furent, durant toute la soirée, plus remuants et plus bruyants que les enfants de la crèche. La tenue de soirée qui était exigée selon les termes de l'invitation, le fut beaucoup moins et nous vîmes certains acteurs monter sur scène remettre des prix dans une tenue des plus débraillées. Dès le tapis rouge déroulé devant le théâtre jusque dans la salle, on prenait toutes sortes d'allures parfois ridicules, se croyant tantôt au Festival de Cannes, tantôt dans un défilé de mode décolletée et tantôt dans une cérémonie de mariage célébrée sur l'un des toits de la Médina. Mais bon, tout ça, ça s'oublie vite parce qu'après tout on s'y était un peu préparé et habitué. Quant à la phrase de Raoul Peck, « notre cinéma va mal », nous n'avons pas pu en taire l'écho qui résonne encore à nos oreilles. Palmarès de la 23ème édition des J.C.C. Prix d'interprétation masculine: Asser Yacine (Egypte) pour son rôle dans « Rassael el bah'r» Prix d'interprétation féminine : Denise Newman (Afrique du Sud) pour son rôle dans « Shirley Adams » Courts-métrages Tanit d'or : Linge sale du Tunisien Malik Amara Tanit d'argent : Pumzi (Kenya) de Wanuri Kahiu Tanit de bronze : Lezare (Ethiopie) de Zelalem Woldmariam Longs-métrages Tanit d'or : Microphone (Egypte) d'Ahmad Abdalla Tanit d'argent : Voyage à Alger (Algérie) d'Abdelkarim Bahloul Tanit de bronze : La Mosquée (Maroc) de Daoud Aoulad-Syad Signalons par ailleurs que le film libanais « Chaque jour est une fête » de Dima El-Horr reçut la Mention spéciale du jury ; que « Ahmar Bahet », le court-métrage de Mohammed Hammed obtint le Prix de la Présidence de l'Organisation de la femme arabe, que le Prix du jury- enfants est revenu aux « Palmiers blessés » d'Abdellatif Ben Ammar et que le Prix du public récompensa « Voyage à Alger ».