Les Tunisiens n'attendent pas l'Aïd el Kébir pour savourer une grillade de foie de mouton ou de côtelettes d'agneau. C'est désormais comme pour certains plats autrefois spécifiques du mois de Ramadan : on peut en effet se préparer des briks à l'œuf et des soupes (chorba) à longueur d'année. Aujourd'hui, les gargotes qui servent les grillades se comptent par centaines à travers le pays. A Tunis, on en rencontre notamment dans certaines ruelles de la Médina, à Bab Souika, à Bab el Khadhra et à Bab Jédid. Il va sans dire que tous les restaurants de la capitale servent du méchoui à leurs clients. Sur les bords de routes, en parcourant les longs trajets, vous pouvez croiser des dizaines de restaurants plutôt modestes qui ne servent presque rien d'autre que le méchoui. Dans le voisinage de ces files de locaux signalés par des enseignes sauvages et des grills rudimentaires installés à même le trottoir, ouvrent très vite presqu'autant de boucheries spécialisées dans la vente de la viande de mouton. Coûteuses mixtures Aujourd'hui chez le boucher, le foie de mouton ou de chèvre se vendent quasiment partout au même prix : 25 dinars le kilo. Il y a quelques mois cependant, on les proposait à 20 et à 22 dinars. A remarquer que la pratique courante chez ces commerçants, et contre laquelle leurs clients ne peuvent rien, consiste à imposer à l'acheteur des morceaux de cœur avec les tranches de foie commandés. Parfois même, le poids servi est équitablement réparti entre ces deux types de viandes. En grillade, cette même viande coûte trois fois au moins son prix : dans les restaurants de catégorie moyenne, un plat de foie grillé coûte entre 8 et 12 dinars. En général on ne vous sert jamais, là non plus, la tranche de foie sans l'incontournable portion de cœur. Le poids total de la viande préparée dépasse rarement les 150 grammes et il faut être connaisseur pour distinguer que le foie dont on vous a coupé une fine, mais très fine tranche presque transparente, est bel et bien un foie de mouton comme c'est indiqué dans le menu. D'ailleurs c'est un restaurateur qui nous a mis en garde contre ce genre d'arnaque. Quand la carte du restaurant parle de plat de viande mixte (à 6 et 7 dinars, mine de rien !), elle désigne en fait un assortiment de toutes sortes de viandes et de graisses, parmi lesquelles il est rare de tomber sur un morceau de foie. Les grillades de côtelettes d'agneau coûtent presque aussi cher et sur votre assiette ne sont servies le plus souvent que deux côtes soit trop maigres soit trop grasses, de sorte que dans un cas comme dans l'autre, vous ne grignoterez qu'une infime quantité de chair. Le plat de merguez revient à 5 dinars au moins et à plus si vous commandez des « spéciales » qui n'ont rien de particulier à part le supplément de prix. On grille tout Dans les petites gargotes populaires, on vous grille tout dans un mouton ou dans un veau : foie, cœur, rognons, côtelettes, entrecôtes, filets, faux filets, muscles, pancréas, rate, poumons, graisses, tripes. Pour un peu, les gargotiers proposeraient des grillades de cornes et de laine ! Leurs prix sont proportionnels au poids de viande servi : en général, les 100 grammes de foie (de veau) coûtent 2 dinars 200 millimes. Ce prix nous a paru clément par rapport à celui du boucher ; en fait, le foie de bœuf coûte entre 15 et 17 dinars le kilo. D'autre part, les gargotiers n'achètent pas toujours au prix public en achetant plus bas chez des bouchers qui écoulent mal leur viande. Cela dit, comme nous l'a expliqué un gargotier de la rue Mongi Slim, leur marge de bénéfice est insignifiante quand ils servent du foie. Par contre, ils réalisent le gros de leurs gains en proposant les côtelettes d'agneau, les rognons et les parties génitales à 1 dinar 700 millimes les 100 grammes et les merguez minuscules à 200 millimes la pièce, alors qu'ils ont acheté ces viandes à moins bas que le prix du gros. A propos des merguez des gargotiers, nous avons appris qu'ils sont achetés du côté de Sidi El Bahri, Bab el Fallah et Sabbaghine à 3 dinars seulement le kilo ; autrement dit, la pièce de moins de 50 grammes grillée à 200 millimes leur rapporte au moins trois fois son prix du boucher ! Quant aux « salades » et autres salaisons accompagnant la grillade, elles se paient séparément et rapportent la plupart du temps des bénéfices plus importants que ceux de la viande. Qui s'y frotte s'y brûle Les restaurateurs de bord de routes ont ceci en commun avec les gargotiers : rien ne prouve que la viande qu'ils servent est contrôlée et saine. Ils ont beau se la procurer chez les bouchers voisins, en principe agrémentés, leurs fournisseurs abattent eux-mêmes et souvent sous vos yeux, leurs propres agneaux sans passer par aucune structure vétérinaire autorisée. C'est donc aux risques et périls du client qui consomme leur viande. Pour ce qui est de la relation entre le restaurateur et le boucher, elle est suspecte aux yeux de la majorité des clients : si vous faîtes confiance au premier pour vous acheter lui-même la viande chez le second, soyez sûr que dans 90 % des cas, le poids servi par ce dernier est inférieur à celui que vous avez commandé. Sans parler bien entendu de la qualité de la viande emballée car on vous y glissera toujours des morceaux « jetables » dont les chats et chiens du coin n'en voudraient pas à leur tour. Si vous amenez votre viande, il faut toujours compter les portions que vous donnez à griller; certaines risquent en effet de se volatiliser une fois sur le grill. D'autre part et pour vous dissuader de l'achat personnel de votre viande, le restaurateur à qui vous la remettez vous fait payer double et triple les quelques morceaux de braise sur lesquels il vous la grille : c'est actuellement 3 dinars le kilo. Il faut par ailleurs signaler que ces restaurateurs font des bénéfices inestimables sur les pains de campagne, les assaisonnements, les garnitures et les boissons qu'ils servent avec la grillade.